Hier j’ai revu l’un de mes films fétiches, « I, robot ». Mon conformisme naturel aiguisé par trois ans de boboïsation SensCritiquienne a finalement eu raison de sa place dans mon top 10 films. D’un 9 recommandé à la limite du fanatisme (merveilleusement mis en scène par mon avatar), il est tombé à un 8 certes recommandé mais assez simple, plus révérencieux qu’audacieux, qui suffit à le maintenir par coutume dans mon panthéon élargi mais n’en fait plus un de mes phares. Cette chute d’Icare devait aussi m’amener à remettre en cause et refondre ma précédente critique, qui, si j’en garderai plusieurs idées enthousiastes, nécessitait un déniaisement certain (d’autant qu’elle pâtissait qui plus est des faiblesses stylistiques de mes débuts dans l’exercice).

Fan d’Asimov depuis de nombreuses années (le cuistre peut se vanter d’être l’auteur dont j’ai lu et relu le plus de livres), j’ai, depuis, ma précédente critique, lu son cycle de robots et affiné ma compréhension et ma réflexion sur son univers et ses idées. Partant, j’ai sans doute été plus sensible aux défauts du film d’Alex Proyas qu’auparavant.

Je passerai rapidement sur les publicités explicites qui n’apportent rien sinon du financement à l’œuvre, ainsi que sur les américanismes bateau sur la liberté, l’amour et toutes ces bêtises (big up à Shia LaBeouf), sur lesquelles j’ai l’habitude de fermer les yeux volontiers lorsque les éclatantes qualités d’un film les compensent largement (ce qui est le cas ici). En revanche, là où le bât blesse, c’est sur les risques liés à la vulgarisation de l’œuvre d’Asimov pour grand public. Contrairement à d’autres, je conteste l’idée que les auteurs soient retombés dans un « complexe de Frankenstein », si ardemment combattu par Asimov dans ses œuvres. Pour faire court, ce « complexe de Frankenstein » désigne l’idée, récurrente dans la littérature du genre (à commencer, naturellement, par le « Frankenstein » de Mary Shelley), que la créature va finir nécessairement par se rebeller contre son créateur.

Or, dans « I, robot », VIKI n’est pas HAL9000, ne vous en déplaise. Là où la « rébellion » du robot de Kubrick et Clarke émanait (à mes yeux) d’une forme de malignité dudit robot, c’est-à-dire d’anthropisation passionnelle de ce dernier, on ne perçoit rien d’autre que de la logique chez VIKI, une logique qui poussée à l’extrême implique une nécessaire dictature sur l’humanité en vue de maintenir l’ordre. En vérité, ce n’est là qu’une vulgarisation un peu rude de la fameuse Loi Zéro et une explicitation spectaculaire du dilemme asimovien entre l’ordre calme mais régressif et l’expansion créative mais violente (voir à ce sujet notamment « La Fin de l’Eternité »). Il n’y a donc pas à mes yeux chez VIKI d’insulte flagrante à l’esprit d’Asimov.

La seule petite entorse que je vois relative à ce sujet est Sonny, « personnage » cher à mon cœur, qui pourtant a la particularité de « pouvoir » enfreindre les Trois Lois. Or, il me semble que dans toute l’œuvre d’Asimov, pas une fois lesdites Lois sont enfreintes. La Loi Zéro est un complément apporté par les robots eux-mêmes, pour interpréter les Trois Lois dans un sens plus macroscopique, faisant de la sauvegarde de l’Humanité un but en soi, mais il ne s’agit nullement de s’affranchir des Trois Lois. En fait, la relative « liberté » de Sonny ne me semble pas une « liberté » scénaristique bien méchante, mais plutôt une vulgarisation tout à fait acceptable de cette autonomie supérieure procurée par la Loi Zéro.

Encore une fois, le film d’Alex Proyas ne se prétend pas une adaptation absolument fidèle à la lettre d’Asimov, mais une œuvre autonome suivant son esprit, et c’est là sa principale qualité. On peut aussi regretter sans nul doute certains raccourcis ou détails inutiles, comme le fait que Susan Calvin, qui dans les livres est une sorte d’être tout à fait froid, revêche, et « inhumain », est ici une femme avenante pas forcément d’une intelligence supérieure et visiblement pas si asociale que ça. Toutefois, ce n’est pas là un bien grand mal fait à l’œuvre. Ce qui est plus tangent, c’est cette volonté manifeste de « faire du spectacle » en mettant en scène les NS5 comme le bras armé virulent de VIKI. Manifestement, ils sont quand même très agressifs. Je conçois tout à fait que Proyas ait voulu la jouer moins subtile que les dominations « douces » décrites par Asimov dans son cycle de Fondation ou ses nouvelles sur les Machines. Le désir de rendre Asimov « plus spectaculaire », « plus direct » ne me paraît pas en soi particulièrement rédhibitoire ; il fallait bien faire un film à la fois intelligent et percutant en 2h de temps, et on a dû sacrifier de la lenteur, de l’implicite, à l’autel de l’action. En revanche, je ne peux m’empêcher de penser que cette répression des NS5 aurait pu se faire d’une manière certes coercitive mais moins agressive. La force des robots étant très supérieure à celle des humains, ils auraient pu se contenter de les pacifier sans ce déchaînement de violence, par de simples immobilisations (un peu comme ils le font d’ailleurs pour les humains retenus chez eux, comme la grand-mère de Spoon ou Susan Calvin, pour qui le ton est sévère mais « bienveillant »). Idem des scènes où les NS5 attentent de manière délibérée à la vie de Del Spooner. Même en admettant le présupposé de devoir mettre l’inspecteur hors d’état de nuire car il peut mettre à mal le plan de VIKI, il y avait moins tape-à-l’œil et plus efficace comme moyen à mes yeux.

En bref, ce film a des défauts, c’est un fait, mais il reste une œuvre remarquable. Une véritable réussite sur le point de vue du spectacle, du scénario, de l’intelligence, de l’humanité (tragique dilemme du sauvetage de Spoon ou de Sarah !), de l’esthétique (j’aime cette espèce de lumière bleutée et métallique qui pénètre le film, ainsi que l’ambiance sonore cohérente et juste). Si je suis moins dithyrambique qu’à une époque, je ne peux cependant que regretter qu’il soit encore largement méprisé ou mésestimé par les SensCritiquiens.
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le 7 déc. 2014

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