Entre influence américaine et thriller paranoïaque à la française, I... comme Icare a de quoi convaincre tant il transpire la passion que lui insuffle Henri Verneuil. Mais il peine dans le même temps à rendre solide l'ensemble du propos qui le motive. A tel point qu'on en vient à se demander si Verneuil n'a pas tourné ce JFK à la française, juste pour pouvoir mettre en images l'expérience de Milgram qui l'avait profondément marqué. 20 minutes de I... comme Icare y sont en effet consacrées, n'apportant au moulin de la conspiration qui se joue à l'écran que peu d'intérêt, sinon celui de la séquence en elle même, parfaitement réalisée.

C'est d'ailleurs à ce niveau que le film de Verneuil joue ses plus belles cartes. L'homme y prouve son savoir faire et emballe son film avec un joli papier cadeau, pour offrir à son public bon nombre de passages réellement marquants. De cette exécution sommaire en pleine journée, à ce coup de téléphone très stressant, que passe un témoin gênant à la police, alors qu'il voit les phares d'une voiture menaçante l'obliger à se recroqueviller sur lui même, ou bien cet épluchage méthodique d'une photo dont les visages ont presque tous été assassinés, I... comme Icare possède ce côté très efficace dans sa mise en scène qui alimentait le cinéma paranoïaque des années 70.

A cette maîtrise formelle, il convient d'ajouter la très belle prestation d'Yves Montand, qui trouve certainement ici l'un de ces plus chouettes rôles. Ce personnage de procureur droit dans ses bottes était taillé pour lui, il remplit le costume du bel aplomb qui le caractérise. Dès les premiers tours de bobine, lorsqu'il remet en cause l'année d'enquête à l'origine du film, il fait parler tout le charisme qu'il possède et qu'il imprimera à l'écran jusqu'à la dernière minute. Les seconds rôles, moins enthousiasmants, sont tout de même à l'occasion très divertissants, à l'image de ce cambrioleur souriant, bien content de faire sauter sa récente condamnation en aidant la police à dérober le chef des services secrets d'un pays dont on ne connaît pas le nom : scène amusante, mais à mon sens révélatrice des faiblesses évidentes qui empêchent I...comme Icare de convaincre totalement.

Car si le film de Verneuil à de beaux arguments visuels, qu'il est aidé par l'efficace boulot de Morricone et qu'il possède une mythologie immédiate parce qu'il s'approprie un fait politique que l'on a tous en tête, force est de constater qu'il est malheureusement ampoulé par des choix d'écriture très cavaliers. Un seul exemple suffit à remettre en perspective la rigueur de l'entreprise, son dénouement, qui tient dans une cassette que l'on fera chanter en jouant du potard sur une chaîne Hifi. Tout sera alors dévoilé : en un tour de bande, le mystère est levé, le procureur franchit la ligne d'arrivée, sans plus de difficulté. S'ensuit alors ce final dépressif, qui possède un impact rageur même si on l'a vu venir à des kilomètres.

C'est donc un sentiment mitigé qui motive mon clavier au moment d'écrire ce modeste avis. Ce I... comme Icare, j'ai envie de l'aimer, il représente un cinéma que j'apprécie énormément, passionné avant toute chose. Mais je ne peux passer outre toutes les faiblesses qui entachent l'avancée de l'intrigue jusqu'à polluer l'ultime séquence, d'un film pourtant magnétique, par le récital d'un mythe dont l'explication était si peu nécessaire.
Un film à deux vitesses, qui parvient malgré tout à laisser en mémoire un joli souvenir. Celui d'une séance certes marquée par un ton pas toujours assumé (paranoïa réaliste ou légère, il faut choisir), par une avancée de l'intrigue qui n'hésite pas à se frayer un chemin vers la fin au pied de biche, mais également par une belle direction d'acteur, des ambiances très soignées et une volonté de proposer quelque chose de résolument différent dans l'univers cinématographique français de l'époque. Et en cela, difficile de faire la fine bouche, des films du calibre, et de l'ambition, d'I... comme Icare, il n'y en a pas tant.

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Quelques images avec le lien ;)
oso
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le 7 juil. 2014

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oso

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