Avec If …, Lindsay Anderson, jeune cinéaste avant-gardiste ne surfait pas sur l’effet 68. Il l’avait même, presque, anticipé. De fait, lors des événements, le film était déjà largement engagé. Et, pour bien le situer dans l’histoire, il est quasiment contemporain d’Easy Rider. A cette époque, le cinéma français n’en était pas encore là ...

Si la forme reste, apparemment, très classique, c’est d’abord l’organisation du récit qui se révèle à la fois très réfléchie et très déconcertante.

STRUCTURE

L’histoire n’est pas linéaire – on procède par juxtaposition de séquences, pas toujours liées, on semble même, au début, hésiter sur les personnages que l’on va suivre, s’intéresser à certains pour mieux les oublier …

La chronologie, mal marquée (sur la durée d’une année scolaire) cède la place à une construction par chapitres, tous intitulés et tous introduits par un leitmotiv – dans la chapelle de la grande Public school, le rassemblement des élèves et des encadrants dans la chapelle de l’école, pour communier et célébrer la gloire de Dieu, de la patrie et de l’école autour de chants religieux. Ce n’est que bien plus tard que cette introduction récurrente deviendra partie intégrante du récit.

L’histoire, délibérément, n’est pas située très précisément dans le temps. En évitant de lui donner un tour très contemporain (Anderson n’est pas Godard), à l’exception peut-être des indices laissés par quelques posters (en particulier lorsque Travis / McDowell s’entraîne au tir), le réalisateur parvient à donner à son propos un tour universel.

Lindsay Anderson joue aussi sur le changement progressif, dont on ne prend que peu à peu conscience, des tonalités – on passe ainsi du quasi documentaire à un univers de fiction dans lequel réalité et rêve vont être très étroitement mêlés au point qu’il sera souvent difficile de les distinguer ; Jusqu’au pandémonium final.

Le film flotte ainsi entre réel et fantasme, entre documentaire et fiction, entre scénario très écrit et sollicitation constante de l’improvisation, entre noir et blanc et couleurs – dont l’histoire rapporte que l’alternance était essentiellement liée à la pellicule disponible – mais dont le directeur de la photographie, Miroslav Ondricek (le chef op attitré de Milos Forman), a su tirer le meilleur effet, en évitant précisément le choix d’options trop marquées (fiction Vs documentaire…) pour permettre au spectateur de se retrouver dans un entre-deux à la fois déconcertant et inquiétant.

La forme est ainsi au service d’un récit dont les finalités se dévoilent peu à peu – pour atteindre sous un aspect apparemment (mais pas très longtemps) classique et policé, une grande force subversive et scandaleuse.

SPARTE

La Public School est en réalité un camp d’entraînement paramilitaire – avec parades, défilés, parcours du combattant et simulations de combats. Et dans cette organisation, ce n’est pas le respect qui prédomine.

On ne voit par contre que très peu les cours et les enseignants, si ce n’est à travers leurs bizarreries, le professeur ecclésiastique palpant ses élèves pendant les cours …

Les méthodes en usage dans ce camp-là sont assez malsaines et glauques. Et c’est finalement tout le décorum et donc toute l’institution qu’il supporte, la religion, l’armée, la tradition, toute une société et des valeurs moribondes qui sont singulièrement mises à mal.

BDSM

Des salles de classe aux gymnases, des dortoirs aux douches ou au réfectoire, tout baigne effectivement dans une ambiance extrêmement malsaine. Les rapports entre les grands et les nouveaux, les bizuths, et plus encore entre les whips (les élèves promus en quelque sorte au rang très honorifique de kapos du camp) et les autres, suintent de sadisme, de soumission, de sexe refoulé. Le malaise est particulièrement sensible dans la scène des douches (largement censurée avec l’éviction des nudités frontales), avec surtout le « whip » dans sa baignoire, savonné par un jeune éphèbe.

Il semble même que le malaise ambiant affecte tous les personnages de l’histoire, même les plus inattendus ; on songe aux déambulations très improbables dans l’école déserte de Mrs Kemp / Mary McDermott, totalement nue – avec un full frontal provocateur (extrêmement rare dans un film « classique » à l’époque, maintenu mais flouté et à distance dans la version finalement validée du film.)

Et tout cela éclate dans la scène des punitions, exécutées dans le gymnase, sous le plus pur mode SM – et remarquablement traitée par la mise en scène, d’abord en hors champ et rythmée par les bruitages, puis en direct avec le supplice exécuté sadiquement contre Travis / McDowell.

TU SERAS UN HOMME MON FILS * (ou de l’art de former des terroristes)

(*la conclusion de If, célèbre poème de Rudyard Kipling, ici détourné en mode sarcastique).

Le salut est dans la fuite, à l’extérieur des murs – dans les jeux qui accompagnent l’évasion des deux étudiants pendant leur errance urbaine, puis, surtout, dans le vol de la moto (et toujours Easy Rider, à proximité), la vitesse et l’air, pour libération, et dans le sexe libéré, très cru – avec une improvisation percutante, le combat de fauves en prélude à la scène d’amour torride entre Malcolm McDowell et Christine Noonan.

On doit bien reconnaître alors à If et à Anderson un caractère réellement prémonitoire : il annonce, à tout le moins accompagne les révolutions étudiantes en marche, il inaugure le théâtre d’improvisation (avec les « combats » sur le trottoir à coups d’armes fictives entre les étudiants, façon Blow up), découvre même Malcolm McDowell explosant de charisme, magnétique et glaçant, Alex déjà, et désormais retenu par Kubrick pour son rôle le plus emblématique.

Lorsque toutes les tentatives d’évasion auront été épuisées, il ne restera plus que la terreur en réponse. Et plus que le massacre final, à la fois grandguignolesque et avec somme toute, un minimum de victimes (mais toute l’institution, au sens propre, est à terre), on retiendra toute la préparation des actes terroristes, le recueil des armes et l’entraînement, froid, technique, froidement mûri et maîtrisé de Travis s’entraînant à tirer sur les reproductions de cibles illustres.

Même si on ne peut pas considérer If comme un film maudit (il a quand même obtenu la palme d’or à Cannes), il me semble que son importance, à la fois dans son traitement formel et dans les perspectives sociales ouvertes (les deux étant indissociables) a été (et demeure) très injustement sous-estimé.
pphf
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Noir et blanc en couleurs et Une anthologie très aléatoire des critiques publiées sur Senscritique, mais surtout pas un palmarès

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le 20 janv. 2015

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pphf

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