Il était une fois en Amérique narre l’histoire de Noodles, un truand qui sera amené à grandir et vieillir au fil des différentes périodes des États-Unis. Il va découvrir l’amitié, l’amour, la violence et la trahison. Son cheminement ne se déploie pas d’une manière linéaire mais vient piocher à tel et tel endroit les moments les plus importants de sa vie. Le réalisateur nous présente au départ son œuvre comme un film de gangsters où tous les clichés du genre sont recyclés. Il la transcende bientôt avec une mise en scène élégante où le moindre plan, de par son cadrage ou un mouvement de caméra parfait, transpire le cinéma, bien aidé par une partition musicale absolument magistrale, bouquet final de la collaboration de deux légendes, dont l’une nous a quittés beaucoup trop tôt. Car le travail une nouvelle fois sublime du mythique compositeur Ennio Morricone, que son vieil ami Sergio Leone voyait comme son dialoguiste, ne peut que susciter l’admiration. On est pas près d’oublier la chute mortelle au ralenti du très jeune ami de Noodles sur ces notes de flûte de pan ou la douceur du thème de Deborah. Si la musique se révèle une des pièces maîtresse de ce morceau de bravoure filmique, il convient de préciser également qu’absolument tout le reste, du casting est absolument parfait.

L’ouverture du film est très sombre, une belle jeune femme se fait froidement abattre dans une chambre à la suite d’un interrogatoire n’ayant pas satisfait les crapules venus lui soutirer une information. On retrouve immédiatement leurs sales gueules (depuis ses westerns, Leone a gardé cet indéniable don pour dénicher des “gueules”, y compris pour les personnages secondaires), transformés en bourreaux d’un homme rondouillard, aveuglé par le sang ruisselant de tous les orifices de sa pauvre face. Leone nous montre d’emblée une violence certes déjà présente dans ses précédents films, mais pas exposée aussi crûment et explicitement qu’ici.
Ses doutes, ses obsessions et ses vices, d’ailleurs inhérents à l’homme, sont insufflés tout au long du film, et en font son plus personnel. Mais ce prologue nous rendant instantanément mal à l’aise, voire choqués, ne nous laisse en rien entrevoir le tourbillon d’émotions toutes plus différentes les unes des autres dans lequel nous serons emportés.
Car Il était une fois en Amérique , c’est avant tout une succession de scènes marquantes, qui viennent nous saisir dans des registres jamais semblables.

On sourira donc devant les déboires sexuels de la généreuse Peggy, la grosse coquine du quartier. Impossible ensuite de ne pas être attendris lorsque le petit Jimmy, attendant devant la porte d’entrée de cette dernière, décidera finalement de se jeter à pleines bouchées sur la pâtisserie auparavant destinée à être troquée contre une initiation au sexe, la beauté et la pureté innocentes de l’enfance l’emportent alors sur les pulsions adultes. On citera également ce moment où un vieillissant Noodles (sublimement interprété par Robert de Niro) passe ses yeux au travers du mur troué au dessus des toilettes du bar de son ami Moe, encore convalescent après les maltraitances subies plus haut. Alors, la caméra s’avance, au plus près de ce regard qui envahit bientôt tout l’écran et donne lieu à une magnifique transition temporelle, par la suite maintes fois imitée, mais jamais égalée. Plus tard, nous nous indignerons de la manière dont se conclura l'histoire d'amour de Noodles et Deborah. Se comportant d’abord tel le prince charmant rêvé lors d’une séquence sortie d’un véritable conte de fées, il gâchera ensuite cette parenthèse éphémère, redevenant une bête humaine prisonnière de ses vices, nous laissant bouche bée devant ce bien triste spectacle.

Sergio orchestre tout cela avec une virtuosité sans nom. De la direction d’acteurs époustouflante à la mise en scène sidérante de maîtrise, il apparaît bien difficile de ne pas s’extasier ou, plus objectivement, d’admettre tout l’amour du cinéma qui s’en dégage. Inventeur d’un nouveau genre, le cinéaste a également dynamité le découpage classique dont il a changé les règles et qui ont été mainte fois reprises par bien d’autres cinéastes. Il n’est pas surprenant de retrouver dans son dernier film tous ses tics, y compris la dimension expérimentale avec les très gros plans.

Bien qu'il fasse évoluer ses personnages au travers une époque de l’Amérique en pleine mutation, le réalisateur italien semble moins intéressé à dresser l’histoire du pays comme le titre et la durée le suggéreraient. Il nous parle plutôt à travers le parcours de ces enfants devenus adultes puis vieillissants, de notre condition de vie humaine et de notre rapport au temps, de la façon et la vitesse à laquelle il peut construire et déconstruire, prendre et reprendre. Cette histoire intime brasse des thèmes universels auxquels nous sommes tous confrontés, ou le serons inéluctablement un jour ou l’autre. La nostalgie, les regrets et les souvenirs sont véritablement au centre de son histoire, en témoignent les nombreux flashbacks surgissant lors de la dernière période de la vie de Noodles ou des autres protagonistes.

Le cinéaste italien a été un passeur entre plusieurs formes et styles de cinéma. Du cinéma classique au contemporain mais aussi japonais à occidental. Il n’est d’ailleurs pas anodin si le premier western faisant de Clint Eastwood une star, était un remake du chef d'oeuvre cinématographique qu'est Yojimbo de Akira Kurosawa.

Quentin Tarantino s’inspirera de Sergio Leone qui lui même s’inspirait d’Akira Kurosawa, cette surprenante trinité a donné lieu à un véritable transfert culturel, faisant exploser définitivement les barrières au cinéma.

À l’époque, son travail était enfin reconnu à sa juste valeur avec Il était une fois dans l'Ouest qui nous a fait découvrir un réalisateur au sommet de son art, enclenchant une trilogie sur l’Amérique, qu'il allait continuer avec le politiquement corrosif Il était une fois la révolution qui suivra (bien que beaucoup moins bon), avant de venir conclure sa trilogie et à nouveau tutoyer des hauteurs vertigineuses avec cet ultime chef d’œuvre, une vraie oeuvre testamentaire.

Maodezverron2511
10

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le 25 janv. 2019

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