Et si on parlait du fait que ce film dure quatre heures ?

Alors oui – d’accord – c’est vrai : « Il était une fois en Amérique » est un monument.
Il a été pensé pour l’être. Il a été réalisé par l’homme qu’il fallait pour qu’il le soit. Et encore aujourd’hui, cette évidence saute aux yeux.


« Il était une fois en Amérique » c’est un film face auquel je me suis retrouvé plus d’une fois, qui plus est à des âges variés, et quand bien même la plupart du temps je n’y suis jamais allé jusqu’au bout (on en reparlera) à chaque fois il m’a bien fallu reconnaître que ce film avait tout d’un grand : ce sens de l’épopée ; cette capacité à poser des espaces et des personnages immédiatement charismatiques ; ce talent à dresser régulièrement des scènes fortes qui ont de quoi marquer nos esprits de spectateurs.
Pour ma part il me suffit simplement d’évoquer un seul instant de film pour me convaincre de son génie.


Il s’agit de ce moment où le jeune Patsy vient avec sa pâtisserie dans l’espoir de l’échanger contre un moment coquin passé avec Peggy mais qu’il se doit d'attendre la belle dans l’escalier, le joli paquet le tentant juste sous le nez. A ce moment-là un dilemme nait : celui qui consiste à basculer dans l’âge des conquêtes souillées aux côtés de cette polissonne de Peggy ou bien préférer rester encore un temps dans l’âge de l’innocence avec le délicieux gâteau. L’enfant finit par choisir le gâteau, mais ses gestes n’en restent pas moins imprégnés d’une concupiscence évidente. Tout dans cette scène est dit au-delà des mots. Moi c’est typiquement le genre de chose que j’adore et qui me marque dans un film…


Et si d’une certaine manière il m’arrive parfois de me dire qu’il fallait bien quatre heures à Sergio Leone pour transposer le principe d’ « Il était une fois dans l’Ouest » aux Etats-Unis tout entier, d’un autre côté je ne peux m’empêcher de voir dans ce choix un véritable problème. Un problème de concision et de rythme, bien évidemment.
Parce que quatre heures, il faut quand-même se les envoyer. Alors soit on regarde le film en deux fois mais celui-ci ne s’y prête clairement pas (l’entracte a lieu au bout de trois heures : quelle idée !), soit on se le tente d’un coup mais dans ce cas-là on a intérêt à être sacrément en forme et surtout à ne pas être trop tatillon avec les conventions.
Car autant ce film sait être brillant quand il s’agit de poser des scènes fortes (on y reviendra encore, rassurez-vous) autant il s’étend parfois en longueur sur des nombreux moments peu opportuns, surtout que l’intrigue est plutôt téléguidée et ne dispose pas du suspense nécessaire pour vraiment nous tenir en pleine haleine jusqu’à la fin.


Moi par exemple j’ai vraiment eu beaucoup de mal avec la scène des retrouvailles entre Noodles et Deborah à la fin du film. Elle survient après plus de trois heures de film et elle s’étale longuement avant de véritablement poser ses enjeux. Certes, elle est cohérente avec le rythme et l’atmosphère posés sur l’ensemble du film, mais après trois heures, l’usure guette clairement.


Tout mon reproche à l’égard de ce film pourrait d’ailleurs tenir en cela.
D’un côté j’adore qu’il insiste à ce point sur des moments de vie afin d’en faire transpirer un état d’esprit entre jouissance et aigreur ; entre liberté et sauvagerie. Mais d’un autre côté je trouve que cette démarche là a quelque-chose d’usant sur le long terme tant elle finit par répéter les instants et endormir par son ton monocorde.
Et c’est franchement dommage car, avec le recul, la décantation se fait toute seule. Pour ma part, mon esprit a très vite oublié les scènes superflues pour ne retenir que les scènes vraiment fortes. Or des scènes vraiment fortes, il y en a.
J’évoquais tout à l’heure la scène de Patsy et de sa pâtisserie, mais que dire de cette autre scène absolument magistrale :


Le viol de Deborah par Noodles.
Tout est dit dans cette scène. Cette incapacité qu’a notamment Noodles d’accepter de préserver ce qu’il reste de beau et de pur dans son entourage. Cette scène n’a rien de complaisante. Elle est au contraire une déchirure. De beaux froufrous blancs qu’on souille. Une belle voiture d’homme distingué qui n’efface en rien la cruauté de la scène et les cris d’effrois de la victime. Et ce regard de Noodles. Cette idée qu’au fond il ne sait faire autrement. Qu’au fond il ne sait vivre qu’en prenant, et il ne sait prendre qu’en souillant.


Et toutes ces scènes fortes, mises bout-à-bout révèlent à elles seules où se trouve toute la magistralité de cette œuvre. Non seulement il en ressort une peinture incroyablement pertinente et audacieuse de ce qu’est l’Amérique – un territoire conquis par des êtres laborieux et broyés mais qui ne sauront s’élever que par l’exaction et le saccage – mais s’y exprime aussi ce talent véritable qu’a Sergio Leone à ne s’exprimer qu’au travers d’outils purement cinématographiques, transcendant son propos par un sens de son art qui est pleinement abouti.


Alors oui, c’est sûrement dommage que tant de maîtrise et de génie soient dilués dans quatre longues heures qui sont, de mon point de vue, clairement de trop.
Pour ma part c’est ce qui a fait que, pendant longtemps, je n’ai jamais su / pu aller jusqu’au bout de cette épopée léonienne.
Mais d’un autre côté cela ne retire rien aux qualités évidentes qui animent cette œuvre.
Du coup, peut-être que oui. Peut-être que raconter l’Amérique à la façon d’un Leone méritait bien qu’on y passe un peu de temps.
Peut-être qu’une pièce-maîtresse comme celle-ci justifie qu’on se perde une à deux de ces quatre longues heures…

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le 14 août 2020

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