La dernière fois que mon regard s'était posé sur le film de Spielberg je n'étais encore qu'un adolescent, il y a environ dix ans. J'étais facilement impressionnable et j'avais une vision de la guerre assez enjolivée.


Et à chaque fois que j'entendais parler de ce film, son introduction était souvent placée comme le porte-drapeau de cette histoire de sauvetage, le summum ne serait pas dans le dénouement du film mais dès son entame. Suis-je de cet avis ? Oui et non.


Effectivement, Spielberg nous jette dans la gueule du loup dès le début, porté par la sauvagerie des affrontements, ce débarquement est une réussite car elle est, semble-t-il, réaliste si on en croit les spécialistes et cette manière de filmer la guerre, "caméra sur l'épaule", suivant les soldats comme le ferait un reporter de guerre, ça prend aux tripes.


Mais dans mon cas personnel, "Il faut sauver le soldat Ryan" a été davantage une montée en pression qu'une longue redescente après une introduction acclamée. Dans le cinéma, et surtout dans un genre comme celui-ci qui est fait pour relater un évènement historique, il est important pour moi de m'attacher au sort des protagonistes. Alors oui, cette mise en scène redoutable d'efficacité au service d'un sujet aussi douloureux qu'important sont des arguments de poids, et on pourrait s'en contenter.


Toutefois, ce sont toutes ces petites scénettes entre les personnages et leurs désarrois qui s'entremêlent qui ont fait écho chez moi. Entre chaque affrontement qui nous est montré, Spielberg parvient délicatement à faire retomber la pression et chaque dialogue entre ses personnages sont un moyen de faire un état des "lieux". De jauger leur courage ou leur inquiétude, leur passé tout comme leur véhémence. Ca parait simple sur le papier, mais il faut savoir doser la chose dans un film qui se veut à la fois pertinent, haletant, dynamique ou encore choquant.


Les soldats du Capitaine Miller ne sont pas partis sauvés le soldat Ryan. Ils sont partis se sauvaient eux-mêmes. Sauver la part d'humanité qui leur restait. Et c'est toujours un grand plaisir d'assister à une belle leçon d'humanité quand elle est bien faite. D'autant plus quand elle s'immisce dans une histoire qui normalise la mort, qui rend compréhensible la peur de ses personnages et qui donne une légitimité aux américains pour tuer des nazis. Et on les comprend plus ou moins, car Spielberg fait preuve d'un souci du détail assez remarquable : les pleurs ou les appels au secours de ces soldats qui agonisent, une mer de sang, la main tremblante du Capitaine Miller, le sable dans les yeux, les balles qui fusent dans tous les sens, les tirs d'assaut et les explosions, le climat difficile comme cette pluie battante, un mauvais réflexe et c'est la mort assurée... Du moins, ça c'est la surface. Une surface qui a du cul.


Humanisme. Ce mot est donc le plus important ici. Il y a évidemment différents thèmes comme la fraternité, la religion et donc la foi en son prochain, ou encore le courage de s'opposer à la hiérarchie quand on se sent exploité pour une cause perdue. Mais tous ces sous-thèmes se rejoignent dans un seul but commun, à quoi bon rester en vie, combattre un ennemi jugé exécrable, si nos actions ne sont pas meilleures. Et elle est là selon moi la difficulté que Spielberg a su contourner, réussir à rendre plausible la clémence de ses protagonistes dans une guerre où, justement, la pitié n'a pas sa place.


Il y aurait encore beaucoup de choses à dire au sujet du film de Spielberg. Au fur et à mesure de mes revisionnages, il gagne en épaisseur et la part philosophique, le fond de cette histoire fraticide prennent l'ascendant sur la photographie, la forme, ce qui m'avait impressionné à l'époque est devenu un "accessoire", un adjectif, exprimant des qualités telles que le scénario parfaitement agencé ou l'écriture des personnages. Des personnages qui ont tous quelque chose de différent à proposer, donnant plusieurs niveaux de perceptions sur ce qu'un homme pourrait penser ou pourrait faire en temps de guerre. D'ailleurs, le personnage joué par Matt Damon est intéressant. Il n'a foutrement rien demandé à personne, il n'est même pas sollicité pour savoir si ce sauvetage en vaut la peine. Il est contraint de se plier aux ordres et c'est ça qui est pertinent chez son personnage. Le jeune homme se sentira redevable toute sa vie pour ceux qui l'ont sauvé. Il est forcé à un avenir qu'il ne voyait pas forcément de cette manière, fonder une famille et être un homme respectable.


Il faut sauver le soldat Ryan est donc un grand classique sur la guerre, expédiant les soldats dans ce chaos de chairs et de sang, ornés par des dilemmes existentiels. Il tente de donner une raison à l'épreuve des balles, expliquer le pourquoi de ce sauvetage pour souligner à quel point la vie est précieuse. Fort en immersion, le film de Spielberg est doté d'une image de haute qualité, privée de couleurs. Spielberg est forcément un metteur en scène de grand classe et on le voit dès l'introduction, sûrement la meilleure ouverture que le cinéma de guerre ait connu. Mais il serait également injuste d'omettre le talent qu'il a eu pour soigner sa fin, notamment cette dernière scène avec un Tom Hanks affaibli et ensanglanté, pistolet à la main et se tenant droit devant un char d'assaut, mettant un point d'orgue redoutable au long-métrage.

Créée

le 23 nov. 2019

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Eren

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