Le regard porté sur la gémellité est depuis longtemps écartelé entre deux pôles : une curiosité un peu défiante, cette réduplication du même pouvant être regardée comme monstrueuse, tout comme la complicité hermétiquement close qui en découle souvent ; une fascination empreinte d'admiration, cette similitude plus ou moins parfaite pouvant rejoindre des figures de l'idéal. En littérature, le grand Michel Tournier, dernièrement disparu, est sans doute l'un de ceux qui a le plus nettement assumé cette position, allant jusqu'à créer la notion de "frère-pareil", image de la gémellité tout autant que du couple, dans son magnétique roman, "Les Météores".


Avec une intelligence et une subtilité remarquables, le réalisateur roumain Adrian Sitaru ne tranche pas entre ces deux regards. Au sein d'une famille orpheline de mère et traversée de violence, violence politique, violence des sentiments et parfois même des gestes, il crée une alvéole de tendresse et de désir, celle que forme le couple gémellaire de Roméo et Sasha, frère et sœur plus étroitement liés que ne le suppose l'ensemble de la famille, jusqu'à ce qu'une grossesse vienne révéler aux yeux de tous la nature de leurs rapports.


En dépit du titre, "Illégitime", qui semble faire porter une condamnation sans appel sur la nature de ce lien, et à l'image de l'affiche, qui allonge le duo incestueux sur un lit paré d'un bleu nuit qui isole de tout lieu et de toute époque, Adrian Sitaru parvient à filmer l'acte de chair comme il montrerait l'imbrication amniotique des deux jumeaux, si bien que l'un semble presque le prolongement naturel de l'autre et que l'on comprend tout autant l'attachement du frère à ce couple qu'il revendique que les désirs de fuite éprouvés par sa sœur, très sensiblement campée par Alina Grigore, et prise de vertige face à la transgression dans laquelle le couple fraternel est en train de s'installer.


Malgré une fin apaisée et consensuelle qui prend le titre à rebours, le spectateur sort profondément troublé de cette séance, véritablement contraint, par le réalisateur et les éléments de réflexion que celui-ci a mis en place, à suspendre tout jugement moral ou normatif.

AnneSchneider
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma boîte à trésors, au fond des oubliettes du grand public et Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement.

Créée

le 7 juil. 2016

Critique lue 590 fois

7 j'aime

4 commentaires

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 590 fois

7
4

D'autres avis sur Illégitime

Illégitime
seb2046
7

Questions morales...

ILLEGITIME (15,6) (Adrian Sitaru, ROU, 2016, 89min) Ce drame familial puissant raconte les conséquences sur quatre frères et sœurs qui découvrent lors d’un repas de famille houleux la véracité d’un...

le 25 sept. 2016

4 j'aime

1

Illégitime
Cinephile-doux
7

Famille roumaine

9 ans après une certaine Palme d'Or roumaine, Illégitime d'Adrian Sitaru reprend à so compte le thème principal de 4 mois, 3 semaines, 2 jours avec une violence verbale et familiale proprement...

le 9 déc. 2016

2 j'aime

Illégitime
Bea_Dls
7

Romeo is bleeding

Le printemps aura été roumain sur nos écrans, d’abord à Cannes avec Baccalauréat de Cristian Mungiu, auréolé du prix de la mise en scène, et Sieranevada de Cristi Puiu, tous deux dans la Sélection...

le 18 juin 2016

2 j'aime

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

76 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

73 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

70 j'aime

3