Oui bien entendu que j’y suis allé sans jamais avoir ouvert une page du livre de Balzac, oui bien entendu que j’y suis allé sans avoir en fait, jamais ouvert une page de n’importe quel bouquin d’Honoré, mais qu’importe. Qu’importe car cette critique ne cherchera aucunement à pointer la ressemblance ou la dissemblance que l’on pourra relever en comparaison avec le support papier originel.


Et finalement, j’irais même jusqu’à affirmer être ravi de ne pas avoir eu connaissance de l’histoire du roman d’origine car en restant dans l’innocence, préservé de la connaissance en amont du contenu du livre, je pense que la découverte de cette adaptation d’Illusions Perdues sur grand écran a décuplé en moi le plaisir de la découverte.
C’est donc en terrain parfaitement inconnu que j’ai posé le pied en allant voir le film de Giannoli, animé de la seule curiosité intéressé de voir un film Français adaptant un classique de la Littérature.


Je pense que le film est appréciable des deux manières.
Le spectateur tout d’abord lecteur, sera à mon avis, comblé en visionnant le travail esthétique de Giannoli, ou cherchera à démolir le film pour son côté littéraire très forcé par moment via les choix de narrations qui pourront rebuter certains; en + de cracher sur un film non conforme à leur vision de lecteur ayant déjà leur propre film subjectif – idéal de l’oeuvre en tête.
Sur l’autre versant de la colline, les spectateurs (comme moi) dans l’ignorance de l’oeuvre papier et de ce qu’elle raconte, seront délicieusement comblés au visionnage d’un film d’époque non seulement très propre (ce qui nous change bien évidemment de toutes les productions à deux sous sponsorisées par TF1) mais aussi et surtout, comblé par l’ingénieux jeu de critique et de mises en abîmes orchestré !


« Illusions Perdues » commence par une description en voix off. Cette voix, c’est celle d’un narrateur omniscient inconnu du spectateur, de ce spectateur, plongé dans le noir depuis peu.
C’est une voix off qui cherche à captiver, comme celle d’un Conteur voulant nous faire la lecture d’une histoire. Ce recours d’emblée à la voix off prend au dépourvu, et personnellement, j’y vois là le postulat de départ du réalisateur.
Plus qu’un simple effet de style décoratif, en ayant recours à la voix off, on sent la volonté de Xavier Giannoli de vouloir être clair avec ceux qui regardent son œuvre : ce n’est pas une banale fiction, c’est plus que cela.


Ce ne serait pas exagéré de commencer les jeux de mots en affirmant qu’Illusions Perdues démarre directement sur une..désillusion. Une désillusion non pas encore celle du personnage (intradiégétique), mais celle du spectateur du film lui-même.
Le Cinéma est un art des illusions, une machine à fabriquer des illusions. Pourtant, le choix et surtout le ton choisi par Giannoli pour nous raconter le roman d’Honoré, vont bel et bien dès le départ à l’encontre de cette volonté de créer des illusions. La voix off, c’est pour nous sortir du récit avant même qu’il n’ai commencé. Ce que nous allons voir n’est pas du faux, pas de l’artificiel bête et démunit...mais bien une artificialité que l’on met à nue, que l’on critique frontalement.


« Illusions Perdues » est un film qui veut mettre en lumière l’artificialité. A travers le voyage d’un jeune homme quittant sa province avec une ambition et une vision idéalisé d’un Paris comme berceau de l’épanouissement artistique, le film de Giannoli cherche à nous faire vivre exactement ce que vit / va vivre le personnage de Lucien de Rubempré. C’est en ça que la voix off prépare en amont la dramatique trajectoire du protagoniste; Il faut en passer par notre propre désillusion au moyen de procédés cinématographiques, installer une distance avec le personnage, pour que l’on perçoive d’un meilleur œil, ouvert et honnête, ses mésaventures.


Giannoli veut nous faire sortir de notre passivité en nous prenant au dépourvu. Ce que nous sommes en train de voir n’est pas un film d’époque ayant pour cadre un Paris mondain fantasmé et tout propre; fantasme d’une France Bonapartiste post Révolution ou l’on pense que tout le monde peut se faire un nom et aspirer au prestige. La voix off pourrait d’ailleurs être celle du réalisateur lui même.


On ne saura qu’à la fin qu’elle est celle du personnage de Nathan, campé par Xavier Dolan


La voix off à laquelle a souvent recours le réalisateur pour nous décrire en « avance rapide » l’action en cours (ou très vite passer sur les passages plus ou moins insignifiant pour en venir à l’essentiel, surtout l’essentiel visuel) pourrait être interprétée comme une facilité narrative. Mais bien que son recours régulier peut s’avérer barbant à la longue, son usage reste indispensable et surtout d’une grande pertinence pour savourer les couches de mises en abîmes disséminées.


En épousant volontairement un ton littéraire (la voix raconte l’histoire comme un livre par dessus les images du film), Giannoli se livre à un véritable exercice de funambule en convoquant à la fois les rivaux (?) Cinéma et Littérature dans son film. Le spectateur est tiraillé. On a l’impression de lire un livre et en même temps de voir un film. Pourtant, la Littérature est un support qui stimule l’imagination alors que le cinéma donne directement au spectateur les images qu’il veut voir, sans besoin de faire un effort psychique pour former ses images dans sa tête. Dans les deux cas, il y a du VRAI et de l’ARTIFICIEL qui cohabitent, tout comme il en est justement question dans l’intrigue du film, portant sur le Journalisme, la Poésie, le Théâtre et la Critique d’Art.


Le spectateur est mit en condition pour éprouver cette atmosphère de critique de la Critique dans le film, il doit être éveiller pour participer aux grand jeu des apparences.
Que ce soit dans les dialogues, les plans, sur le plan visuel et sonore, tout est soumis au radars de l’attention et de la réflexion.
Cette volonté, semble-t-il, du réalisateur à vouloir se servir d’une adaptation de roman pour nous convier à un bal masqué des apparences, du vrai et du faux déguisés, pourrait sembler, sur le papier comme ici être une démarche indigeste; pourtant, à notre grand étonnement, c’est avec un grand naturel que l’on épouse les intentions de Giannoli et qu’on se prête au jeu...même avant de s’en rendre compte.


Illusions Perdues m’a beaucoup parlé. J’ai adoré la manière dont ce film parle d’un journalisme cynique. Le film parle des journaux libres et des guerres de la Presse en coulisse avec un ton aussi grave, de la même manière qu’on parlerait du trafic de drogues de nos jours.
C’est bien là la plus grande force du film.
J’ignore si lorsqu’il a écrit son ouvrage, Honoré de Balzac n’a ne serait-ce qu’imaginé la portée et même la postérité-validité critique qu’elle pourrait avoir près de deux siècles plus tard, ou bien si le mérite de la construction d’un « pont critique » avec notre époque revient au réalisateur du film. Quoi qu’il en soit, Illusion Perdues – film, offre une surprenante résonance avec notre époque du XXIème siècle.


Tout le monde peut dire du bien ou du mal de toute œuvre, de toute personnalité. Tout le monde a le pouvoir de faire se soulever la masse par de simples mots, de simples formules. Nous n’auront aucun mal à imaginer la transposition envisageable avec les critiques de Presses du XIXème, remplacés au XXIème par les influenceurs Youtubes ou les fakes news des réseaux sociaux créant tout les jours plus ou moins de nouvelles polémiques.


Si le film surprend par sa forte résonance avec notre modernité à l’ère du tout numérique où les problématiques et les « magouilles » n’ont finalement qu’été déplacées/remplacées pard’autres moyens, Giannoli reste pourtant tout à fait à la BONNE DISTANCE. Le réalisateur n’oublie absolument pas son matériau littéraire d’origine et évite de commettre l’erreur fatale de vouloir actualiser le contexte de la France des Royalistes et Libéraux. Oui le film arrive à parler de notre époque, mais il n’en oubli absolument pas de parler de sa propre époque. Et c’est au moyen de décors, de costume et d’une excellente direction d’acteurs qu’il nous y plonge.
Pourtant, le Paris d’Illusion Perdue n’est pas un Paris qui fait rêver, bien au contraire. Giannoli arrive à englober toute la « crasse » et la « puanteur » de ses aspects les plus sombres. A plusieurs moments du film, on en vient même à considérer la ville de Paris plus seulement comme le Théâtre de l’action (c’est le cas de le dire ^^⁾ mais comme un personnage du film.
La ville de Paris a une atmosphère dérangeante dans le film. C’est une ville ou se mêle le sale et le propre, le moche et le beau...le vrai et le faux, tout simplement.


Cette ville occupant la fonction de cadre et celle de personnage, corrompt le personnage de Lucien. La ville est une force supérieur, un marionnettiste qui tire les ficelles de tout les pantins qui y habitent. Chaque personnage dans le film joue un rôle, son propre rôle social.
Comme le demande le personnage de Louise de Barjeton à Lucien à un moment du film: «Qu’est ce que Paris a fait de nous ? ».
Cette phrase est explicite, comme si le personnage du film considérait-elle même la ville comme une force supérieure qui contrôle tout.
Les personnages sont des pions, des acteurs qui se jouent eux même. Bourgeois comme pauvres, Royalistes comme Libéraux, tous sont dans le paraître. Sur tout les personnages, Giannoli appose une couche de faux pour cacher le vrai.


On ne sait plus qui est honnête, qui est vendu, et le réalisateur s’attache à approfondir encore plus cette « Comédie Humaine » au sens premier du terme en montrant autant la Scène que les Coulisses et les différentes machineries que l’on ne voit pas, pour créer du faux, donner l’illusion du vrai.


En montrant à l’image autant la scène que les coulisses du monde du théâtre, en montrant tout autant les bureaux d’impressions que la rue, l’intérieur et l’extérieur, Giannoli fait se mélanger tout les aspects et tout les espaces et toutes les classes sociales du monde fictif du film afin de récréer presque viscéralement chez le spectateur, l’incertitude qui ronge Lucien.
Tout le monde est vrai, mais tout le monde est faux, le monde est un théâtre des apparences, et la scène ne s’arrête pas à la scène.


Finalement, à la fin du visionnage d’Illusions Perdues, le spectateur en viendra à se demander si lui-même n’est qu’un spectateur de cette Comédie Humaine.


Illusions Perdues, un cinéma d’Illusions, qui nous désillusionne, pour mieux éprouver la désillusion de Lucien.
On en ressort avec une féroce envie de laisser courir notre plume et de coucher nos mots sur le papier ou sur l’ordi pour encenser….ou descendre le film x).
Car comme avait dit François Truffaut: Tout spectateur de cinéma a deux métiers, le sien et critique.

L_Otaku_Sensei
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