Illusions perdues est la meilleure façon d'adapter un Balzac : avec passion pour les décors et les costumes (voyez ces travelings, dont l'époustouflant "couché" final), avec un casting rafraichissant, et les crocs sortis pour écharper la société, mais toujours avec le sourire. Les deux heures trente pouvaient paraître imposantes (sauf à penser au nombre de pages que compte d'ordinaire un bon Balzac...), mais elles filent entre nos doigts sans que l'on n'y puisse rien, embarquées à cent à l'heure dans une société de l'apparat et du mensonge qui a tant de vérités à dire sur notre époque actuelle (les médias en prennent pour leur grade), et que l'on se retrouve déjà devant le générique de fin à regretter ces beaux dialogues gorgés de cynisme (on note même quelques phrases, au passage, pour les resservir à l'occasion), ces jeunes acteurs étonnants de justesse : Benjamin Voisin nous avait à demi convaincu dans Eté 85, ici il nous a fait changer d'avis pour le meilleur, et avec un Vincent Lacoste délicieusement irrévérencieux (son meilleur rôle ?) et un Xavier Dolan à fleur de peau (et qui fait une voix-off captivante), on peut compter sur le casting pour nous faire vivre l'intrigue. D'agréables petits rôles pour les grands noms que sont Cécile de France et Gérard Depardieu, la première nous rappelant qu'elle a été excellente dans son Mademoiselle de Joncquières, et le second que le théâtre et les grands phrasés lui vont toujours aussi bien au teint. Cette adaptation a su trouver une force dans ce qui est souvent vu comme le "point noir" des Balzac : les descriptions. On sent bien que l'équipe technique des décors et costumes ont puisé dans les pages du livre pour savoir construire sa mise en scène, et l'on se rince l’œil bien souvent dans des plans qui allient richesse mortifère (les beaux salons où tout sent "l'objet sous cloche") à la pauvreté vivante (les locaux du Journal, où les feuilles volent, où les canards et les singes courent...), mais où tous se réunissent sous le mensonge et la duperie. On croit voir une critique moderne, on repense à certaines chaînes de télévision, certains magazines, journaux ou même opinion publique, mais il s'agit bien de la société du milieu du dix-neuvième siècle. Rien n'a changé depuis, tout est calculé, quantifié, les avis s'achètent (pas le mien, qu'on m'en préserve !) et l'opinion publique se retrouve aussi malléable que de la pâte à modeler. Cela fait presque peur. On aura aussi souri à une petite allusion à un certain "banquier qui sera Président", une phrase mise en avant dans le dialogue qui n'aura échappé à personne (on a tous eu un petit ricanement). L'humour est aussi bien présent avec tous les stratagèmes hallucinants pour tromper le public, ce qui nous fait rire tout en nous mettant le doute (combien de fois a-t-on été bernés ?). La salle a été prise comme une seule entité dans cette voix-off de Dolan (sans aucun accent, il nous rend royalement jaloux) qui sublime l'histoire d'un attachant provincial (auquel on s'identifie bien vite) qui se fait "bouffer" par la fausseté de la capitale, et l'on s'en aperçoit dans les moments de silence total : sur une (petite) salle bondée (le bouche-à-oreille ayant cartonné), pas un spectateur pour manger son popcorn (main bloquée à mi-chemin) ou pour chuchoter, chacun cherchant à suivre comme devant un feuilleton à suspens. Illusions perdues s'offre l'intelligence et le cynisme de Balzac, et le dynamisme de son casting. "Curieux de subtilité".

Aude_L
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2021 et My César 2022

Créée

le 16 nov. 2021

Critique lue 75 fois

1 j'aime

Aude_L

Écrit par

Critique lue 75 fois

1

D'autres avis sur Illusions perdues

Illusions perdues
el_blasio
9

Un contrat plus qu'honoré

Illusions Perdues parvient à nous emporter avec panache et brio au cœur de la tourbillonnante Comédie humaine chère à Balzac, plus contemporaine que jamais. Pour un littéraire talentueux, il est...

le 27 sept. 2021

106 j'aime

8

Illusions perdues
jaklin
5

Eloge du contre-sens musical

J’aurais pu mettre 8. J'aime pourtant beaucoup d'habitude Giannoli : L'apparition et Marguerite sont de très bons films. Ici, les acteurs sont presque tous bons, Balibar et De France en tête, en...

le 9 avr. 2022

42 j'aime

92

Illusions perdues
Kopliko
7

Le jour où un banquier rentre au gouvernement...

Balzac, l’un des romanciers français les plus connus et l’un des plus adaptés au cinéma. Pourtant, lorsque l’on regarde la liste des adaptations de ses œuvres, la plupart se sont faites avant les...

le 15 oct. 2021

41 j'aime

5

Du même critique

The French Dispatch
Aude_L
7

Un tapis rouge démentiel

Un Wes Anderson qui reste égal à l'inventivité folle, au casting hallucinatoire et à l'esthétique (comme toujours) brillante de son auteur, mais qui, on l'avoue, restera certainement mineur dans sa...

le 29 juil. 2021

48 j'aime

Bob Marley: One Love
Aude_L
5

Pétard...mouillé.

Kingsley Ben-Adir est flamboyant dans le rôle du jeune lion Bob Marley, âme vivante (et tournoyante) de ce biopic à l'inverse ultra-sage, policé, et qui ne parle pas beaucoup de la vie du Monsieur...

le 14 févr. 2024

37 j'aime

Mad God
Aude_L
5

Doing doing doing doing...

Mad God est une expérience, et ce n'est pas parce qu'on ne l'a subjectivement pas appréciée, qu'on ne vous recommande pas de la vivre. Au mieux, vous serez subjugué par ce mélange de sadisme assumé,...

le 8 avr. 2023

35 j'aime