Déjà remarqué par la passé à Cannes pour ses courts-métrages – Ah Ma (Grandma) obtint ainsi une mention spéciale en 2007 – le singapourien Anthony Chen, présent cette année dans la sélection de la Quinzaine des réalisateur, s’y est vu décerner la Caméra d’or par un jury touché et présidé par Agnès Varda.

Ilo ilo qui se situe dans la seconde partie des années 1990, époque qui voit la crise financière envahir petit à petit le continent asiatique, met en scène l’arrivée d’une nounou, faisant aussi office de bonne, chez une famille de Singapour composée d’un père cadre, d’une mère secrétaire et d’un petit garçon, Jiale, turbulent et capricieux qui donne du fil à retordre tant à ses parents qu’à ses enseignants. Teresa, venue des Philippines qu’elle quitte pour une hypothétique vie meilleure, doit soulager la mère enceinte et tenter de mater le gamin indomptable.

Ce qui relève de l’apprivoisement de Jiale par Teresa, qu’il considère d’abord, avec mépris et méchanceté, comme une esclave à son service, et de l’évolution (somme toute attendue) de leur relation hostile vers une authentique amitié ne constitue pas le principal intérêt du film. Tout simplement parce que ce type d’histoires est universel et ne possède rien de particulier qui mérite qu’on le salue plus que nécessaire. C’est davantage la dimension sociologique qui retient l’attention du spectateur, surtout s’il est à la fois curieux des mœurs des régions sud-asiatiques, comme néophyte dans leur connaissance. Ici se joue le rapport de classe – et donc de force – entre les Singapouriens en général et les Philippins considérés comme inférieurs, mais aussi entre les autochtones eux-mêmes. Une autre employée émigrée prévient sans ambages Teresa qu’ « ici il n’y a pas de place pour Dieu ». En effet, les relations entre adultes, comme celles entre ceux-ci et les enfants, à la maison ou à l’école, sont empreintes de violence et de brutalité (morale bien plus que physique, même si le châtiment corporel infligé comme exemple n’est pas exclu) et contaminées par la pression économique et sociale qui parait constituer leur spécificité. Le père qui va bientôt perdre son emploi et la mère qui tape à la chaine des lettres de licenciement courbent l’échine et acceptent leur sort. Curieusement, alors qu’ils ont encore un poste important tous les deux et sont à même d’employer une ‘gouvernante’ qui devient du coup le quatrième membre de la famille, ils vivent au premier étage d’un immeuble sans charme, supportant les bruits d’en bas.

L’histoire banale d’un petit garçon difficile qui devra apprendre à se prendre en charge lui-même aurait pu être quelconque et inoffensive si elle ne s’était progressivement chargée de tension et d’un risque d’implosion encore augmenté lorsque Teresa prend l’ascendant sur la mère de Jiale en parvenant à l’apaiser et à lui apporter au final l’attention et l’affection que sa famille occupée et engluée dans ses difficultés matérielles ne pense même plus à lui donner. S’il subsiste bien l’espoir incarné par la transformation du garçon, persiste aussi, et probablement de manière plus accentuée, un constat terrible sur la déliquescence et la cruauté des rapports humains à l’heure où ils sont menés par l’économie, y compris et surtout quand celle-ci vacille. La noirceur en filigrane est cependant atténuée par la fluidité et la simplicité de la mise en scène, pleine de sensibilité et de délicatesse.
PatrickBraganti
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le 5 sept. 2013

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