Empreinte d’une verve implacable comme éloquente, « Deserve’s got nothing to do with it » est la punchline ayant dissipé avec une aisance folle mes maigres réserves à l’endroit d’Unforgiven, le multi-récompensé long-métrage de Clint Eastwood : car par-delà une ambiance des plus austères et un rythme traînant la patte, ce western (l’un des rares auréolés de l’oscar du meilleur film) fait preuve d’une écriture bien plus réfléchie qu’escompté, comme en attestera son dernier quart d’heure magistral.
Mais revenons d’abord un peu plus en arrière : fruit d’un script ayant autrefois essuyé le refus de Gene Hackman, Unforgiven aligne un casting aussi réduit qu’impressionnant au service d’une intrigue ne payant pas de mine, chose se corrélant à une mise en route aucunement hâtive. Sans aller jusqu’à faire preuve de scepticisme, le spectateur pouvait donc se raccrocher aux gueules fameuses d’un quatuor sans pareil (les deux acteurs susnommés, Morgan Freeman et Richard Harris), tandis qu’une curiosité allant croissante se dessinait inexorablement : en effet, le théâtre conflictuel de Big Whiskey rendait compte d’un enchevêtrement pervers d’intérêts contraires, dont la teneur systématiquement personnelle cristallisait l’élan anti-manichéen d’un récit finalement captivant.
À contre-courant des westerns iconisant leurs pistoleros, qu’ils soient bons ou mauvais, le long-métrage adopte une démarche toute autre - et révélatrice de son mérite : en ce sens, le scénario de David Webb Peoples tend à désacraliser des figures usuellement référentielles, mais sans que cela ne soit la conséquence seule d’une galerie résolument ambivalente. Certes, ce point est indissociable d’une telle lecture, mais entendons qu’Unforgiven dispose de différents leviers en vue de brouiller nos repères : dressé en tant que personnage principal, et de facto supposé susciter le plus notre empathie, Will Munny entretient le doute quant à l’exactitude de son passé meurtrier, sa vieillesse et un état physique plutôt déliquescent agissant tels des trompe-l’œil. L’apport de Ned Logan abonde aussi en ce sens, leur relation de confiance atténuant l’écho condamnable de leurs actes passés, tandis que le trait résolument grossis d’un Kid peu attachant exploite le choc des générations : sans être le point le plus passionnant du tout, il faut reconnaître que c’est in fine efficace.
Nous pourrions cependant reprocher au long-métrage l’envers très fonctionnel de ces derniers, mais le cas d’English Bob n’illustre que trop bien l’intelligence d’un tel procédé : conjugué au charisme d’Harris, Unforgiven se joue des attentes du spectateur en prenant à contre-pied les codes du genre, l’humiliation des plus totales du bandit britannique contrastant de mille feux avec ses premiers pas (et l’impression qui s’en dégageait). L’usage savant de Beauchamp, faux comic-relief de son état, nous conforte également dans l’idée que le film sait parfaitement où il va : au diable les récits héroïques et autres fusillades épiques, et place à un regard sans concession et désenchanté d’une Amérique à l’imagerie peu reluisante.
Pour en revenir au cheminement de l’intrigue même, le « malheureux » devenir du blondinet parachève le rôle central que tient Little Bill, de surcroît vecteur d’un suspense véritable à mesure que l’affrontement entre ce dernier et Munny ne se rapproche : mais, encore une fois, Unforgiven ne se départagera en aucune façon de ses fondamentaux, dans la droite lignée d’un portrait à l’ambigüité certaine (ex-tueur s’étant découvert une vocation pour le respect de l’ordre). Même le camp des prostituées, persuadées de la légitimité de leur quête vengeresse, échappe finalement à tout semblant de « recul moral », un état de fait commun à chacune des factions en présence : et c’est là que la richesse intrinsèque de fond éclate finalement au grand jour, le spectateur étant bien en peine de justifier, quel qu’en soit l’angle d’approche, pareil crescendo dévastateur.
Au terme d’une telle narration, marquée du sceau de l'imprévisibilité, le long-métrage se paiera qui plus est le luxe de détourner le propre du gunfight à son avantage : car outre l’excellence d’une mise en scène sans fioritures ni anicroches, cette séquence d’anthologie brille de son apport sans commune mesure à l’esprit animant l’œuvre - qui nous dépeint donc l’illogisme du mérite dans pareil bourbier humain. Qu’importe les actes passés ou les quêtes d’absolution, seul subsiste la loi du plomb, assimilable à l’échec cuisant d’une société reposant sur des normes artificielles : ses membres en feront l’amère expérience, Will Munny endossant de manière inflexible et sans hypocrisie le rôle équivoque du redresseur de tort.
Qui méritait de l’emporter ? L’absence de réponse spontanée en dit suffisamment long quant à la réussite d’Unforgiven.