Je ne connaissais rien de ce film. Pour tout dire, je pensais m'être trompé de salle. J'en suis ressorti bouleversé.

Synopsis : Après le décès de leur mère, le notaire Lebel confie aux jumeaux Jeanne et Simon Marwan deux lettres rédigées par leur défunte mère ; l'une destinée à un père qu'il croyait mort, l'autre à un frère dont ils ignoraient l'existence. Leur quête leur permettra d'en apprendre plus sur leur mère, réfugié d'un pays du Proche-Orient, mais aussi sur eux-même.

Après une scène merveilleuse avec des enfants soldats (image surprenante mais qui prendra tout son sens après avoir vu le film), Incendies commence avec la scène chez le notaire. C'est le premier chapitre du film, « Les Jumeaux ». Sur le coup, je pensais m'être trompé de salle, n'ayant pas vu le titre (le film est dépourvu de générique) mais non : ici, bien que le film soit adapté d'une pièce de théâtre de Wajdi Mouawad présenté notamment au Festival d'Avignon en 2009, tout laisse penser que le réalisateur — Denis Villeneuve — a préféré une structure proche de celle du livre, où chaque page tournée est une nouvelle révélation sur la vie de Nawal Marwan, mère des jumeaux, et où les pages blanches sont autant d'ellipses que les personnages (mais aussi le spectateur) cherchent à remplir. Le va-et-vient incessant entre la vie de la mère, que l'on découvre en même temps que les deux héros, et la quête identitaire des jumeaux est la force du film. Tout le ressort dramatique est contenu dans cette structure narrative, repoussant les limites du suspense pour atteindre non pas un mais plusieurs paroxysmes durant tout le film... Jusqu'à une révélation finale pourtant évidente mais tellement peu prévisible par le spectateur, du fait d'un changement de point de vue dans cette histoire tragique et classique, tel que nous avons l'habitude de la voir. Malheureusement, je ne peux en dire plus sur cette fin sans en révéler d'avantage.

Destins

Incendies est l'histoire d'une femme (incarnée par la talentueuse Lubna Azabel). Une femme qui se bat, qui a la rage, dans un pays fictif où la guerre — elle aussi — fait rage. C'est l'histoire d'une personnalité d'abord insaisissable. Est-ce une folle, comme le pense son fils ? Qu'a-t-elle vécue, qu'a-t-elle vue, qu'a-t-elle subit pour finalement mourir en silence, entouré de mystère ? Si la rage est bien présente dans le film, elle est bien souvent retenue, contenue. La violence, elle, est partout dans ce pays en guerre. Les images sont choquantes parfois. Le silence dans ces paysages désolés et rasés par la guerre est pesant, tout comme le poids des non-dits. Cette femme reste pourtant droit dans ses bottes, fidèle à sa propre quête. Rien ni personne ne pourra la détourner de son objectif : retrouver le fils qu'elle a perdu.

Incendies est aussi l'histoire de deux enfants. Des jumeaux qui en apprennent plus sur leur vie qu'ils ne l'auraient imaginé au début. Leur force est d'être ensemble dans cette quête, de pouvoir compter l'un sur l'autre. La relation entre les deux jumeaux est particulièrement bien traitée dans le film. Les deux acteurs (Mélissa Désormeaux-Poulin et Maxim Gaudette) y sont pour beaucoup.

La jumelle est présentée comme étant une scientifique, une cartésienne qui cherche à savoir. Décrypter les énigmes. Ça tombe plutôt bien car, comme le fait justement remarquer l'un des personnages, le film et la vie de sa mère est en quelque sorte une équation à variables inconnues. C'est un puzzle à compléter mais dont il manque des pièces. Finalement, les jumeaux finissent par résoudre l'équation en la simplifiant au maximum et en isolant l'inconnu, procédé classique dans la résolution d'équation en mathématique. Mais cette équation simplifiée semble bancale, voire fausse. Et pourtant, il s'agit bien de la bonne réponse. Reproduire ici l'équation finale serait vous donner les clés du film, ce qu'il m'est impossible à faire, bien entendu. Le jumeau quant à lui est son extrême opposé : tout ce qui l'intéresse est d'enterré sa mère dignement, et tourner la page. Jusqu'à ce que lui aussi soit pris dans un engrenage le poussant à vouloir en savoir plus sur cette femme dont il s'aperçoit qu'il ignorait tout.

Un film d'une rare maîtrise

Le film, fort par les sujets qu'il aborde (la guerre, l'exil, la mort... et d'autres dont je ne peux vous révéler la nature sans vous spoiler le film), a l'intelligence de réserver des moments plus léger, un peu comme des soupapes de sécurité qui nous permet de décompresser face aux images dures et révélations troublantes sur la vie de la mère. Humour noire parfois, mais humour efficace qui permet de respirer.

La bande-son est vraiment une réussite. Le réalisateur a choisit notamment deux morceaux de Radiohead, de l'album Amnesiac (You And Whose Army? et Like Spinning Plates, respectivement au tout début du film et au milieu). Il faut dire que l'ambiance générale du film se marie bien avec l'univers musical de Radiohead : mélancolie, rage contenu, noirceur parfois.

Ce n'est qu'après les dernières images du film que, finalement, le titre apparaît : Incendies. Choix judicieux du réalisateur, car c'est là qu'il prend tout son sens, qu'on le comprend. Un peu comme s'il était mystérieux lui aussi, à l'image de la mère dont on ne sait rien au début et dont on comprend tout à la fin. Le pluriel aussi prend du sens. Tous les personnages ressortent dévastés. Le spectateur aussi.

En résumé

Au final, ce film est un sérieux challenger à Des Hommes et des Dieux dans la course aux Oscars. En effet, Incendies représentera le Canada aux Oscars dans la catégorie meilleur film étranger. Il a été par ailleurs présenté à la Mostra de Venise et a remporté le prix du meilleur film canadien au dernier Festival de Toronto. L'histoire, forte et perturbante, est magnifiquement filmée. Les acteurs sont justes et rendent leur personnage touchant. En somme, Incendies est un film à ne manquer sous aucun prétexte ; vous ne pouvez rester insensible face à la maîtrise dont fait preuve le cinéaste face à un sujet pourtant difficile à aborder.

Points positifs :
• L'histoire, les personnages, les acteurs.
• La mise en scène.
• La musique de Radiohead, qui colle parfaitement au film.
Points négatifs :
• Des moments parfois très violents pouvant heurter un public sensible. Mieux vaut être averti.
• Un film qui aurait pu gagner un peu de rythme en étant un peu plus court.
Vivian
8
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le 1 déc. 2010

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10 j'aime

Vivian

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