Qu'est-ce qu'un fanboy ? Est-ce cet insupportable gamin geek qui poursuivait inlassablement le super-héros comique Freakazoid dans le dessin animé éponyme ? Est-ce un super-héros, dont le pouvoir est de s'investir complètement dans sa passion au point d'en oublier le monde extérieur ? Différentes définitions pullulent sur le net, mais on y retrouve constamment la question de l'attachement affectif à un objet, une œuvre, un personnage ou un artiste, souvent qualifiée de maladive. Si ma passion pour le cinéma de Christopher Nolan est immense, elle ne m'empêche pas de m'intéresser à d'autres œuvres. Néanmoins, j'avoue être prêt à aller voir ses films les yeux fermés. C'est d'ailleurs ce que j'ai tenté de faire en allant voir « Inception » : éviter tout spoiler, me limiter à la description du réalisateur et aux bandes annonces, et m'éloigner scrupuleusement de toute source d'information, ou même de tout spot tv susceptible de m'en dévoiler davantage.

Avant de me lancer dans mon avis à proprement parler, il me paraît important de revenir sur l'un des fondements de mes écrits : pour moi, il n'y a pas une vérité, et surtout pas en art. Je ne crois pas en l'objectivité. Je la rejette même, car je ne suis pas intéressé par les avis froids, mais au contraire, c'est la passion qui m'anime, et j'estime important de permettre à cette passion de rendre mes avis vivants. Au-delà de mon attachement évident pour le travail du réalisateur, je vais tenter d'expliquer les raisons de mon enthousiasme incroyable pour le film, tout en ne révélant rien de l'intrigue qui ne soit déjà révélé par les bandes annonces.

Comme tous les films bénéficiant d'un hype important, « Inception » a fait l'objet d'attaque bien avant sa sortie. Certains ont prétendu que Nolan avait plagié des œuvres telles que « Dreamscape » (thriller de science fiction à consonances politiques datant des années 80 et mettant en scène un tout jeune Dennis Quaid capable de pénétrer dans les rêves des gens), ou encore l'anime japonais « Paprika » de Satoshi Kon. Bien sûr, ces films ont en commun d'aborder l'exploration des rêves. Tout comme « Le parrain » et « les affranchis » abordent la mafia. Tout comme « le Lagon bleu » et « Lost » parlent de naufragés tentant de survivre. Pourtant, au-delà du thème, rien ne rapproche ces différents films, qui n'ont absolument pas les mêmes ambitions.

Le sujet et l'agencement des séquences du récit d' « Inception » sont d'une densité vertigineuse, ce qui en soit le différencie non seulement des films cités auparavant, mais aussi de blockbusters comme « Avatar » ou la plupart des films sortant cet été. Trop compliqué, prétentieux ? Absolument pas. Comme toujours, Nolan respecte son public et lui livre un intrigue finalement simple, mais à la construction aussi complexe que riche. Tout en fragmentant sa structure narrative et la construisant sur plusieurs niveaux, le réalisateur/scénariste ne perd jamais son récit de vue, si bien que malgré l'aspect labyrinthique propre à l'esprit ne nous égare jamais. Ce n'était pas évident, puisque le rythme hallucinant rend les 2h20 aussi épuisantes qu'absorbantes. A tel point que lorsque le générique de fin apparaît, on se prend à regarder sa montre, en regrettant que l'expérience n'ait pas été plus longue.

Tout en étant pris par les événements et la tension permanente, on est constamment émerveillé devant le spectacle qui s'offre à nous. Visuellement, « Inception » est une prouesse qui n'a pourtant que très peu recours aux effets spéciaux actuels et privilégient les trucages à l'ancienne, pour un résultat aussi saisissant que crédible. Plutôt que de nous inonder de séquences assommantes et totalement déconnectées de la réalité, Nolan prend le parti de construire un monde des rêves très proche du monde réel, condition indispensable pour que l'arnaque onirique fonctionne sans que le rêveur n'ait conscience qu'il rêve. Ainsi, à la manière du protagoniste, on en vient constamment à se demander si l'action se déroule dans l'esprit d'un personnage ou dans la réalité. Pourtant, on ne triche pas en ne mettant en scène que des gros plans qui empêcheraient de se repérer. Au contraire, Nolan prend soin de multiplier les plans larges, offrant une vision concrète des lieux, permettant de trouver ses marques, avant de tout faire basculer.

Cette manipulation du spectateur n'est bien sûr pas due qu'au travail du réalisateur. En effet, à la manière du héros du film, Nolan s'est entourée d'une équipe de spécialistes chevronnés, avec qui il a collaboré à plusieurs reprises avec succès, pour un résultat inoubliable. Le directeur de la photographie Wally Pfister, qui travaille avec Nolan depuis « Memento », livre un travail incroyable, encore plus impressionnant que ce qu'il avait laisser voir dans « The Dark Knight », tout en restant dans une architecture très urbaine cher au réalisateur, et en conservant les teintes récurrentes dans ses autres films. Lee Smith, fidèle monteur, découpe chaque scène avec un souci du détail qui offre une lisibilité exemplaire, tant des lieux que des réactions des personnages. Le montage des scènes d'action dépasse tout ce que Nolan a fait jusqu'à aujourd'hui, y compris « The Dark Knight », qui était pourtant ponctué d'affrontements mis en scènes de façon dynamique, et toujours claire, comme ce climax inoubliable dans la tour Prewitt. D'ailleurs, non seulement aucune séquence ne se ressemble, mais la plupart des morceaux de bravoure sont totalement inédits. Rien ne pouvait préparer à une telle maîtrise de la technique filmique, mais aussi de la coordination des cascades, qui dépasse de loin ce que les films de Hong Kong ont pu apporter au cinéma américain en termes d'utilisation de câbles par exemple.

Les acteurs sont tous brillants, y compris ceux qui n'apparaissent que quelques instants. On a toujours plaisir à retrouver Michael Caine. Tom Hardy, qui s'était déjà révélé très charismatique dans le film anglais « Bronson » prouve qu'il sera un acteur à suivre, tout à fait capable de succéder aux héros charismatiques d'autrefois. Daniel Craig a du souci à se faire. Joseph Gordon-Levitt, acteur versatile, est très à l'aise, tant dramatiquement que physiquement (de ce point de vue, il est même impressionnant). Ellen Page et son allure frêle apportent un vent de fraicheur tout en nuance. Au rayon des bonnes surprises, Dileep Rao, et surtout Ken Watanabe qu'on voit bien plus que prévu. Cillian Murphy livre une de ses meilleures prestations, tout en retenue et en émotion. Mais c'est bien le couple Cottillard/Di Caprio qui remporte la donne. La première, dans un rôle de femme fatale, s'impose avant tout grâce à son jeu corporel. Le second réitère une performance digne de celle de « Shutter Island » en renouant avec toutes les obsessions des personnages torturés du cinéma de Nolan.
Enfin n'oublions pas la bande originale de Hans Zimmer. On repère quelques tonalités qui rappellent « la ligne rouge » ou « the dark knight », mais le film possède sa propre identité musicale (et sonore en général) avec plusieurs morceaux qui resteront longtemps en tête. J'ai beaucoup apprécié la finesse de certains morceaux pour un compositeur comme Zimmer qui privilégie les gros sons (ce qui est aussi le cas ici malgré tout).


Au-delà de tous ces aspects, « Inception » est surtout le premier vrai film d'auteur de Christopher Nolan. L'artiste a souvent travaillé en étroite collaboration avec son frère Jonathan. « Memento » reste son film le plus proche d'un film d'auteur, puisque même s'il s'inspire d'une nouvelle de son frère, c'est pour écrire un scénario très différent. « Inception » reste malgré tout l'œuvre de sa plume, et de sa plume uniquement. L'occasion de juger de ses talents d'écrivain. Et pour ça rien de plus simple : la séquence finale, qui reste peut être la conclusion la plus réussie de tous ses films (alors que celles de « Memento » et « The Dark Knight » me paraissaient déjà magistrales), tout en étant presque intégralement muette, est d'une émotion incroyable, et ce sont les détails visuels qui mettent en relief tous les enjeux de cette fin.
Un film à voir plusieurs fois, non pas parce qu'il est incompréhensible, mais parce qu'il doit se vivre et se revivre, pour se l'approprier différemment, pour en avoir une autre lecture... pour se replonger dans un rêve qu'on aurait aimé ne pas voir se terminer, tout simplement...
Batléo
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le 1 oct. 2010

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