Nolan est le spécialiste de l'intrigue complexe. Déjà dans Le Prestige, il nous invitait à tordre la réalité, à la distendre. Puis dans Interstellar, il poussera encore plus les frontières du réel dans des voyages, des odysées dont il a le secret, dans une quête auréolée de science. La réalité se distord à l'ombre d'un trou noir qui l'altère. Inception, comme les planètes étranges d'Interstellar accumule les couches de rêves cauchemardesques, où les subconscients des autres tentent de tuer le moindre intrus dans les rêves, comme dans la vraie vie, à coup de fusils d'assaut et de lance-roquette.


Le film débute ainsi, deus ex machina, sur ce mélange saugrenue de souvenirs, de rêves et de réalités. On croit revenir au réel, on continue de rêver. On est en porte à faux, comme dans Mulholland Drive où le rêve prend peu à peu le dessus jusqu'à remplacer tout simplement la réalité.


Le rêve, chez Nolan, est pourtant bien plus terre à terre que celui de David Lynch dans Mulholland Drive. Il est presque scientifique, séquencable, analysable et acquiert même une dimension capitaliste. Il sert à faire de l'espionnage industriel, il sert à forcer des secrets, à ouvrir des coffres. Il devient la spécialité du voleur de rêve Cobb, incarné par Di Caprio qui aime toujours autant les rôles complexes, qui s'introduit ainsi, à la demande, dans le subconscient des gens pour leur arracher leur plus inavouable secret. Une simple machine où l'on connecte par des fils électriques les cerveaux et le tour est joué. C'est l'extraction. Le rêve devient exploitable, comme de l'or que l'on arrache à la conscience. Il rencontre Saito (Ken Watanabe) un très riche homme d'affaire, prêt à tout pour abattre l'empire de son rival américain, grandement malade. Son fils, appelé à hériter représente une menace grandissante. L'idée de Saito : faire que le fils démentèle l'empire de son père. L'inception. Implanter une idée, telle une graine dans l'esprit d'un homme, au travers de ses rêves. Voilà que l'homme est Dieu, capable même de transformer la conscience.


Mais voilà, l'inception n'a jamais marché, un concept plus qu'une réalité que seul Cobb a réussi dans sa vie, sur sa femme, avec des effets dévastateurs. Veuf et loin de ses enfants car accusé d'avoir tué sa femme justement (Marion Cotillard, niaise à souhait et à qui la collaboration avec Nolan tourne au ridicule (se référer à Batman Rises)), il est recherché par le monde entier. Il se cache et vend ses services dans l'espoir un jour d'être innocenté et de revoir ses deux enfants. Saito lui promet l'impossible, le faire entrer aux USA. L'occasion est trop bonne et Nolan s'enfonce dans le sentimentalisme niais avec cette histoire sentimentale. Comme dans Interstellar, il ne peut s'empêcher de lier la quête escatologique de ses personnages à l'amour, l'amour avec un grand A, sorte de force universelle qui pousse à tout mais qui fait se terminer ses films en jus de boudin.


Cobb tente l'inception. Un rêve, puis un second, puis un troisième et même un quatrième. L'irréalité s'emboite, tel un Rubik's cube, les frontières s'estompent. L'architecte de ces mondes fabuleux, où les immeubles parisiens forment un toit sur lequel on peut marcher, où les ponts de la Seine se transforment au grés de sa fantaisie, c'est Ariane, incarnée par l'excellente Ellen Page, actrice que j'adore, et qui passe du film indépendant au blockbuster testotéroné. Le moment est jubilatoire. Voilà que Nolan construit le monde de ces rêves, part dans la conquête de l'inconscience comme on part à la conquête de l'espace. Un grand voyage, à bord de caravelles flottantes sur les eaux du subconscient, à la recherche de l'or qui mûrit dans des mines lointaines.


Le problème de Nolan est toujours le même cependant : trop de sérieux, trop de complexité. Sa mise en scène, spectulaire reste plate. Elle sert un propos, d'ailleurs tellement complexe, qu'il brouille plus qu'il ne fascine par ses twists. Néanmoins le film fonctionne. Le blockbuster est excellent, puissant, savant et marche comme un rouage parfaitement huilé. Le film ne souffre d'aucune baisse de rythme, la tension est une vraie réussite. Le fond, est bien plus discutable. D'excellentes idées comme la mort pour se réveiller, la construction démentielle de rêve emboité, la possibilité d'introduire dans un rêve d'un autre son propre subsconscient s'efface un peu derrière le poncif d'un drame amoureux.


La quête de Cobb est pourtant belle en soi : quitter le rêve, revenir à la réalité, et donc accepter la mort, le deuil. Devenir un vrai père, sortir du mirage. Une quête d'homme mûr, une quête d'homme résigné. Le rêve, il l'a vécu des décennies dans les bras de sa femme, plongé dans un rêve sans fin, de quelques heures en vrai, de cinquante ans dans la conscience. Les voilà qui batissent leurs châteaux de sable, véritable métaphore utilisée dans le film visuellement, balayés par les flots de leur subconscient qui les ronge peu à peu. La mort qui rode, au détour du rêve. Il n'y a pas plus freudien. Et le film y puise toute son inspiration.


Nolan, heureusement, malgré le ton pompeux et scientifique de son oeuvre reste un cinéaste. Il ne vend pas de réalité, pas de vérité. Il vend de l'illusion, du rêve. Il met en scène son propre acte créatif. Un train qui déboule de nulle part en pleine rue, qu'à cela ne tienne. Le cinéma peut tout et il s'en sert à merveille. Toute la science qu'il développe, dans toute sa filmographie n'est qu'un prétexte à l'extravagance des rêves et des soifs de conquête. Nolan est aussi et surtout un grand enfant. Magicien, prestigidateur, on sort bluffé, sur cette fin ouverte, presque insupportable, faite pour le buzz et la polémique éternelle. Un blockbuster quasi parfait, à défaut d'être autre chose qu'une grosse machine à rêver.

Tom_Ab

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