Parmi les nombreux talents dont est pourvu Hollywood figure celui de maquiller des pompages de films asiatiques en œuvres originales, tout en se payant au passage le luxe d'en massacrer l'intrinsèque moelle. Feu Satoshi Kon, réalisateur japonais de films d'animation, est mort d'un cancer à l'âge de 46 ans, juste avant les sorties de deux films américains copiant presque outrageusement son travail. Black Swan, de Darren Aronofsky, "s'inspirait" donc de Perfect Blue (1997). Inception, lui, lorgne du côté de Paprika (2005). Mais autant Aronofsky offrait une relecture plutôt intelligente, une occidentalisation élégante de l'extraordinaire Perfect Blue, autant Nolan, lui, bousille littéralement son support original, rappelant qu'il existera toujours une frontière entre les cinémas asiatique et américain, ce dernier ne résistant jamais longtemps à l'appel du gunfight... Il faut le voir pour le croire : un thriller se déroulant dans des rêves, où les paysages, les personnages, les événements sont quasiment dépourvus de la moindre fantaisie, où l'ennemi est systématiquement représenté par un malabar armé d'une mitraillette ! On aimerait pouvoir dire : "on croit rêver", mais en fait, pas du tout.
Il faut dire qu'en effet, Inception, dans son genre, est un sacré paradoxe. Passées quelques séquences de "déconstruction de réalité" (?) visuellement rigolotes mais atrocement limitées d'un point de vue intellectuel (je change la gravité, je vole en apesanteur, je construis un miroir qui recrée une nouvelle réalité), le film se révèle incroyablement banal dans son traitement. Nolan, dont on n'est pas particulièrement fan ici, fait montre de tout son talent de réalisateur invisible, multipliant les plans "grand angle" et les travellings lents qui étirent davantage une durée déjà excessive (2h20) pour ce que le film a à raconter. Dans ce monde d'experts des rêves, on s'exprime avec des mots très simples, on fait des analogies foireuses, on vulgarise tant une science imaginaire que, du coup, on finit par ne considérer celle-ci que comme une pure création de fiction qui perd tout ancrage dans la réalité du film. C'est ça, l'autre inception du film : essayer de bâtir un univers de science-fiction en refusant de faire réfléchir le spectateur, que l'on brosse systématiquement dans le sens du poil en lui servant une poignée de maximes risibles entre deux gunfights aussi esthétiques qu'ennuyeux. Des quelques promesses qu'établit le film (le rêve dans le rêve dans le rêve, notamment), il ne restera rien au générique. Le scénario aura dilué tout son discours dans une multitude de scènes d'action dont l'abstraction confine au ridicule. Ce sont des poursuites en voiture, en motoneige, des bastons dans un couloir d'hôtel ou dans des escaliers qui symbolisent la lutte mentale des personnages. Là où Satoshi Kon préférait un déluge d'images et de sons délibérément inventif et fêtard, Christopher Nolan s'en tient au cahier des charges de l'actioner de bas étage.
Au final, tout porte préjudice à Inception. Sa mise en scène, si propre qu'elle en devient totalement terne et impersonnelle (l'une des éternelles tares de Nolan). Son discours, qui n'avance qu'à coups de catch-phrases faussement nébuleuses. Sa durée, totalement excessive pour un thriller qui ne fait finalement pas grand chose d'autre qu'empiler des scènes d'action vaguement anémiques. Même son dynamisme, oui, est mis à mal par l'aspect politiquement correct des bastons, où deux-trois protagonistes en cravate se cassent le pif hors-champ pour ne pas faire fuir le (large) public visé. Tout est froid, même les personnages, vides de tout charisme, limités à des représentations théoriques de notions elles-mêmes franchement fumeuses, que Nolan aurait voulues lourdes de sens mais qui sonnent complètement creux. Pour couronner le tout, chaque idée de scénario se saborde elle-même par des parti-pris qui tuent la notion de "mindfuck" si souvent recherchée : les enjeux y sont les mêmes que dans la réalité (il ne faut pas tuer quelqu'un dans le grand rêve du film sinon il meurt pour de vrai), l'imagination des "constructeurs" présentés comme très intelligents est digne de celle d'un mauvais level designer, les "rêves" étant construits comme des niveaux de jeux vidéo PlayStation première génération (Syphon Filter, Dino Crisis anyone ?). Il faut voir la fierté d'Ellen Page lorsqu'elle réussit à créer un pont communiquant entre deux rêves via... une bouche d'aération. Sans déconner ?