Texte originellement publié sur Filmosphere le 30/07/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/independence-day-resurgence-roland-emmerich-2016


A l’image des commerces qui marquent « tout doit disparaître », Hollywood inscrit « tout doit être retapé » en plein milieu de sa devanture kitch et clinquante. Tout, c’est absolument tout, des franchises à succès des années 80, bien évidemment, jusqu’à la résurrection prochaine des « Universal Monsters », indiquant l’impossibilité que son patrimoine demeure à un moment ou un autre en paix. Le nouveau film de Roland Emmerich ne correspond alors plus aux délires d’un germain amateur de destruction massive, mais à ceux, bien plus aseptisés et sinistres, d’une société de divertissement qui a finalement pris très au sérieux la grossièreté de sa précédente production, bien décidée à lui donner une suite (qui aurait tout aussi bien pu être un remake – qui s’en moque ?) figurant au panthéon des blockbusters les plus désespérants de cette année.


Dans l’absolu, Independance Day ne devrait pas et ne pourrait pas avoir de suite. Version avariée de La Guerre des mondes de Wells, le film de 1996 était un parangon d’absurdité prétendument second degré, officiant comme catharsis pour un public en manque d’explosions à grande échelle, ramenant alors à la mode un genre qui était finalement resté en demi-teinte depuis les années 70. D’aucuns ont certainement pu apprécier l’incontestable maestria technique qui a entouré le métrage, jouant pour beaucoup quant à son inscription au sein de la culture populaire. Après tout, Roland Emmerich et Dean Devlin demeuraient d’honnêtes artisans, comme l’avait précédemment indiqué le remarquable Stargate : la porte des étoiles. Emmerich aura depuis avoué que le ton débile de son film d’invasion était délibéré et assumé, mais curieusement, une ambiguïté aura toujours persisté autour, à contrario du Starship Troopers de Paul Verhoeven, significativement plus subversif. Et si White House Down, ce coup-ci très clair dans son intention de constant grotesque, aura plaidé en la faveur du ton parodique, il est temps de se questionner à propos d’Independance Day : Resurgence, et de comprendre qu’il s’agit éventuellement d’une colossale régression.


L’écriture du film semble être une vague adaptation premier degré du roman militariste « Etoiles, gardes à vous ! » de Robert Heinlein, celui-là même que Verhoeven s’était permis d’adapter non sans recul. Dans ce monde science-fictionnel où notre technologie s’est mêlée à celle extra-terrestre, la société paraît se diviser en permanence en deux catégories : l’armée, aux mains des Américains et des Chinois ; les humains, eux-mêmes divisés entre militaires et autres, à savoir ceux qui ne servent à rien et disparaissent dans l’indifférence générale, comme la Présidente ou encore ces millions de civils. Sans en venir nécessairement au nihilisme de la condition humaine de l’adaptation de Wells par Spielberg, il faut bien, pour autant, que le film-catastrophe ait une dimension émotionnelle pour s’avérer à un moment ou un autre fonctionnel. Pas ici, tant pis. Bref, un monde où être militaire, c’est cool ; mieux, un monde où tout ce que l’on a tiré d’une technologie avancée, ce sont de nouvelles armes ou d’autres gadgets futiles alors que le pékin moyen roule toujours dans son 4×4 diesel. De manière plus générale, l’écriture est désastreuse dans le ton laborieux qu’elle emploie pour rabâcher un univers bête et déjà-vu, à l’exposition interminable pour bien peu de choses. Hollywood semble être parvenu à inverser son propre cahier des charges de l’écriture scénaristique, jadis formatée en vue d’une efficacité dramaturgique (pour le pire ou pour le meilleur), aujourd’hui rallongeant tout à l’extrême, dans un esprit d’addition absurde et résolument gonflant vu la pauvreté des concepts.


Quiconque est simplement venu chercher de la destruction pétaradante ne peut être satisfait de la fainéantise ambiante qui prédomine la réalisation, où tout est de synthèse et de fonds verts, sans impression de réel. Car aussi discutable était le premier volet, cette dimension existait lorsque la Maison Blanche où l’Empire State Building implosaient dans un impressionnant chaos pyrotechnique. Ici, une scène de quelques minutes voit Londres se faire raser à l’aide d’un générateur gravitationnel, alors que l’impact est néant : c’est comme si rien ne se passait. D’ailleurs, tous les protagonistes l’ont oublié trois séquences plus tard. Peut-être est-ce le fait de ne pas être au sol, à contrario d’une scène similaire aperçue dans Transformers : l’Âge de l’extinction, peut-être est-ce aussi que l’ensemble est fait sans passion, aussi débile puisse-t-elle être. Saupoudrez cela d’une direction artistique laide quand elle n’est pas inexistante, le résultat ne peut correspondre qu’à une sensation de vide profond devant cet écran où plein de choses s’agitent vainement.


Chose plus intéressante, Independance Day : Resurgence met également à jour un grave symptôme d’Hollywood dans la revisite de ses mythes (parfois miteux) passés : la filiation. D’une génération qui a révélé ses héros archétypaux parmi des êtres plus communs, nous sommes désormais passés à une génération qui choisit les siens selon leur parenté, que ce soient les personnages de Star Wars : Le Réveil de la Force, de Creed ou encore, de sinistre mémoire, la tentative de Die Hard : belle journée pour mourir. Ces héros désagréables et sans emphase doivent alors composer avec l’héritage légendaire de leur ascendance, comme c’est évidemment le cas dans le film d’Emmerich. L’objet de culte n’est plus seulement le film pour le spectateur, mais également les personnages du récit aux yeux des autres. En réalité, c’est un énième raccourci de fumistes : pourquoi s’embêter à créer de nouvelles légendes lorsque l’on peut surfer sur les anciennes ? Cette filiation constamment forcée, qui à terme va s’apparenter à un délire consanguin au sein d’Hollywood, est aussi susceptible de faire complètement péricliter cette génération, faute d’intérêt, faute de volonté, faute de tout. Independance Day : Resurgence s’en moque, et affiche le personnage de Bill Pullman aux côtés de sa fille dans leurs jets futuristes, alors qu’à la Maison Blanche trône fabuleusement un portrait de Will Smith, devant les yeux béats de sa progéniture.


L’année a été riche quant aux blockbusters en roue libre, de Warcraft : Le Commencement à Gods of Egypt en passant par Tarzan. Autant de films qui correspondent, ou devraient correspondre, à des accidents industriels. Les majors semblent être de moins en moins concernés par les produits qu’ils délivrent, car si l’on savait que ceux-ci ne correspondent désormais nullement ou presque aux aspirations de l’auteur (quand il y en a un), ils ne se targuent même plus d’une réelle orientation prise par un producteur, s’éclatant dans toutes les directions à la fois pour un résultat absolument chimérique. Combien de temps le système peut-il encore fonctionner de la sorte ? Ces œuvres informes entassent les échecs dans l’indifférence collective, mais continuent d’être. Dans le cas de notre ami Roland, on peut toujours espérer qu’il s’agisse d’une commande bas-de-gamme en vue de se faire financer son nouveau film Stargate, ou un autre film indépendant à la manière d’Anonymous. Mais ne soyons pas dupes, d’autant que l’année n’a pas fini de nous éreinter la rétine – et le cerveau, tant qu’à faire.

Créée

le 29 sept. 2016

Critique lue 387 fois

6 j'aime

Lt Schaffer

Écrit par

Critique lue 387 fois

6

D'autres avis sur Independence Day : Resurgence

Independence Day : Resurgence
Behind_the_Mask
3

Royal Gadin

Si vous lisez régulièrement mes avis, je pense que vous vous êtes rendus compte que le masqué, au fond, c'est un faux méchant. Qu'il trouve très souvent quelque chose à sauver, même des pires films...

le 23 juil. 2016

67 j'aime

16

Independence Day : Resurgence
SanFelice
8

Parodie !

Il y a sûrement quelque chose que l'on a sous-estimé chez Roland Emmerich. Non, mais sans blague, aucun être doué d'un minimum d'intelligence ne peut décemment pondre de telles bouses et appeler ça...

le 11 oct. 2016

63 j'aime

11

Independence Day : Resurgence
guyness
2

On n'interprète qu'aux riches

Instinctivement, si on vous parle de grandes performances d'acteurs, un tas de références plus ou moins évidentes vous viennent spontanément en tête. Vous pensez à Kinski dans Aguirre, Brando dans...

le 8 sept. 2016

54 j'aime

29

Du même critique

Le Hobbit : La Désolation de Smaug
ltschaffer
6

La déception de Smaug

En initiant sa nouvelle saga avec l’excellent Le Hobbit : un voyage inattendu, Peter Jackson a divisé les foules, s’attirant les ires d’une partie du public qui souhait vraisemblablement retrouver...

le 9 déc. 2013

70 j'aime

4

Le Convoi de la peur
ltschaffer
10

Voyage au bout du Styx

A l'occasion de la ressortie de Sorcerer par La Rabbia, j'en profite pour remettre à jour une ancienne critique de cette version restaurée, rédigée alors qu'elle avait été présentée à la Cinémathèque...

le 29 oct. 2012

54 j'aime

7