Que mon premier Lynch ait été Inland Empire est, en soi, un défi.


Face à l'écran, face à ce film, je me suis sentie comme devant une de ces vidéos diffusées dans les musées ; celles devant lesquelles je ne m'attarde jamais (étant donné qu'une large moitié des œuvres, dans les expositions contemporaines, sont des vidéos, rarement suffisamment installées d'un point de vue muséographique pour être véritablement contemplées). Excepté que, cette fois, calée sur une méridienne, entre deux coussins et mon amoureux, j'étais dans la bonne configuration.
Donc, j'ai regardé.


Je refuse de dire que je n'ai rien compris. Je me suis, simplement, sentie aussi perdue que dans une longue hallucination. Et j'appelle ceci une véritable réussite. J'ai toujours considéré le cinéma (et l'art, en général, qu'il soit plastique, littéraire, théâtral, cinématographique, et j'en passe) et le phénomène des rêves comme des hallucinations consenties. La suspension de la crédibilité y est effective. Je salue donc cette double mise en abîme, sous le signe de l'hallucination : rêve et cinéma, mêlés, emmêlés, qui entraînent le spectateur dans les méandres de leurs contorsions et de leurs spasmes.


Ce film a inoculé le sentiment d'être piégée dans tout mon organisme, qu'il soit musculaire, viscéral, nerveux, ou cognitif ; et c'est le propre du cauchemar. Car, oui, Inland Empire, c'est avant tout un cauchemar. Le temps s'y déploie étrangement ; l'inconfort est constant ; l'inquiétude plane ; tout se déforme.


Ce qui est particulièrement fabuleux, c'est ce rapport au rêve hallucinatoire.
Jung, dans un livre dont j'ai oublié le nom, a décrit les mécanismes du rêve de la façon suivante : éveillé, dans le réel, nous accumulons des représentations, des images, des détails, des mots, que nous ajoutons à l'extraordinairement immense bibliothèque de notre psyché. Certains restent gravés dans notre conscience (pour une durée indéterminée), d'autres se noient dans les flux et reflux de notre inconscient. Au moment du rêve, cette même psyché tisse, à partir de tous ces éléments existants, un nouvel univers. Tout est déplacé, rompue, transformé. Le réel se métamorphose, et se répète sous des formes diverses. Le rêve, c'est l'empire de la mutation du réel.
Et c'est exactement comme cela que s'organise ce film : un élément vient, puis revient sous une autre forme (un chiffre, un mot, une heure). Le cauchemar orchestre l'ensemble. Chaque fragment du film a sa propre identité, qu'il soit une métaphore, une figuration d'une métaphore, une personnification, une allégorie ... Autant de figures de style classées comme "figures de substitution". Le passage à l'hallucination est ainsi consommé.


Terminons sur ce point : la richesse de Inland Empire, c'est la multiplicité des interprétations possibles. Il n'est pas question de dire "Rien n'a de sens", mais plutôt "Tout a trop de sens". Et c'est dans cette vaste perdition que le spectateur erre - avec délice.

Neena
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le 13 juin 2017

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Neena

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