Pattes d'eph et rape & revenge à Manille

Quelle étrange sensation de voir déambuler dans les ruelles étroites d'un bidonville philippin des personnages aux robes très colorées, aux pantalons pattes d'eph et aux coiffures caractéristiques de l'esthétique 70s... Le tout baignant dans une atmosphère de mélodrame qui semblerait parfaitement classique s'il avait été tourné dans les rues d'une ville américaine quelconque, quelques décennies auparavant. Mélange détonant, étonnant, rafraîchissant.


On comprend très vite que Lino Brocka a tourné Insiang au milieu d'un véritable bidonville de Manille, les habitants comme figurants, et quelques acteurs professionnels dans les rôles-clés. Le cœur d'Insiang semble partagé entre des aspects quasi-documentaires et la tragédie au sens extrêmement classique. Rape & revenge inattendu, l'humiliation du personnage principal éponyme ira crescendo jusqu'à la fin, en accumulant les contraintes toujours plus variées jusqu'à l'implosion. La dureté de la vie à plusieurs dans le même taudis, la famille et ses exigences, les petits caïds qui font la loi, et enfin les déceptions amoureuses. Une histoire de vengeance lente, surprenante, préméditée, et dont l'idée de la violence semble être entièrement contenue dans la séquence initiale du générique introduisant un personnage dans son travail à l'abattoir. Des porcs tués à la chaîne, des cris stridents, du sang partout.


Un des principaux charmes du film réside ainsi dans cette dimension faussement documentaire, une connotation certainement réaliste qui enveloppe l'ensemble d'un voile étrange et captivant pour l'œil étranger. Il y a du polar de série B à très faible budget dans ce film, c'est marquant, surtout quand il se mêle aux malheurs d'Insiang, rappelant un univers de la tragédie au féminin radicalement différent. Son errance dans les rues grouillantes et boueuses de Manille est captée avec précision, sur le marché ou près d'une boutique d'alimentation, partagé entre une mère sévèrement acariâtre et un compagnon bien pleutre.


Attention toutefois à la bande sonore qui irritera plus d'une oreille : au-delà du très bon travail de restauration (audio et vidéo), il y a cette petite ritournelle qui revient en boucle tout au long du film, coupée et montée de manière particulièrement agaçante. Mais cela ne saurait entacher le regard de sociologue de Lino Brocka sur les conditions de vie d'une partie de la population philippine. Il y a là une vision bien sombre des rapports humains, dans un environnement atypique, sous les contraintes de promiscuité, de pauvreté, et de misère affective.


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Morrinson
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le 21 avr. 2016

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