Plus de 2 ans après le sympathique True Grit, les frères Coen reviennent avec leur seizième long-métrage intitulé Inside Llewyn Davis. Ce film a fait parler de lui à Cannes cette année, laissant penser qu'il s'agissait d'un des meilleurs films des deux frangins. L'histoire de ce chanteur de folk qui vadrouille à travers les USA afin de pouvoir (sur)vivre de sa musique a touché Spielberg et sa clique au point de décrocher l'illustre Grand Prix du jury. Tous les signaux étaient au vert avant de rentrer dans la salle de cinéma, qu'en est-il finalement de cet Inside Llewyn Davis?



Le film s'inspire librement de la vie du chanteur Dave Von Ronk (vous ne connaissez pas? Pas grave, moi non plus). Llewyn Davis est un musicien sans domicile fixe, qui survit de concerts dans des bars, de petits boulots mal payés et qui dort, au mieux, chaque nuit sur un canapé. Un synopsis terriblement dramatique sur le papier, mais c'était sans conter sur le talent des frères Coen qui évitent le drame balourd pour proposer un film, certes désabusé, mais chaleureux dans le fond.

Car la célèbre paire de cinéastes sait rendre ses personnages attachants et ne nous assomme jamais avec leurs déboires. Oscar Isaac, acteur plutôt habitués aux seconds rôles, se voit offrir ici un rôle à la hauteur de son talent. Son personnage est rempli d'espoir mais enchaîne les désillusions sans jamais totalement perdre la foi qui l'anime. Le récit ne prend place que sur quelques jours, ce qui est suffisant pour comprendre le personnage, ses galères et qui évite d'en faire un biopic complet qui survolerait justement cette aventure au jour le jour, ce qui fait le sel de ce film.

Car l'histoire de Llewyn Davis c'est ça, le déclin des artistes indépendants face à la montée impitoyable du show. On préfère favoriser les thèmes plus légers et les musiques plus gaies face aux chansons tristes et sincères d'un chanteur folk mélancolique. Et la vie de celui-ci se résume à cela, un tiraillement entre le fait de vouloir mettre en avant sa propre identité artistique et le fait de s'adapter aux nouvelles tendances pour pouvoir vivre plus confortablement mais en rentrant dans le rang.

Le film possède ainsi un aspect mélancolique et plutôt pessimiste, sans pour autant sombrer dans la déprime la plus profonde. Inside Llewyn Davis traite de la fin d'une ère où l'expression artistique devient de plus en plus muselée face aux contraintes des grands studios et de leur recherche de la plus forte rentabilité. Mais le traitement de cette ère mourante est admirable. Les Coen en font quelque chose de doux car ce personnage est un loser attachant, chaleureux dans ses rapports aux autres et dans sa musique. Et le film se suit avec plaisir sur un rythme fluide et maîtrisé, bercé par cette bande-son lancinante mais très entraînante.



Mais outre cet aspect mélancolique, l'errance de Llewyn Davis prend parfois des allures à la fois noires et poétiques. Je pense notamment à ce road-trip vers Chicago assez cauchemardesque où il doit subir les sarcasmes d'un musicien de jazz (excellent John Goodman au passage) tout en étant conduit par un chauffeur froid et taciturne. Dans cette séquence et dans d'autres, le film offre des moments d'une beauté incroyable. Le plan où Llewyn fait du stop la nuit dans la neige ou encore avec le chat sur la route sont d'une élégance rare. C'est intensément poétique, ça brille comme un éclat dans la nuit et c'est là que l'on voit que la forme chez les frères Coen est toujours aussi maîtrisée.

Esthétiquement ce film est un régal. Outre les quelques exemples de séquences presque oniriques que j'ai pu cité, le film est mise en scène avec un tel sens du cadrage que ça en devient un pur régal rétinien. Associé à une superbe photographie qui arrive à user des teintes grises tout en rendant le tout chaleureux, le film est visuellement très abouti. Je n'ai d'ailleurs pas de mal à qualifier les Coen (enfin surtout Joel) comme étant parmi les plus grands formalistes en activité. Et ça fait du bien de voir des films aussi beaux au cinéma, de voir des films qui prennent leur temps de développer leurs personnages, de dégager une ambiance unique.

Car Inside Llewyn Davis est bel et bien un film unique. On reconnaît la patte Coen mais on y retrouve, comme souvent, cette identité propre. J'ai toujours apprécié leurs films pour ça d'ailleurs, il y a souvent quelque chose de neuf. Que ce soit cette Odyssée version Grande Dépression d'O'brother ou l'incroyable thriller texan de No Country for Old Men, les frères Coen arrivent à utiliser des matériaux littéraires et cinématographiques déjà existants pour en faire des oeuvres uniques et sincères.



Subtil, chaleureux, beau, intelligent. Il y a tant d'adjectifs qui pourraient coller à ce nouveau film des frères Coen. Tout est bon, j'émettrai juste une réserve sur le personnage de Carey Mulligan que j'ai trouvé un peu balourd (peut-être à cause de son interprétation un peu forcée). Mais globalement l'interprétation reste quand même de grande qualité.

Inside Llewyn Davis est l'illustration brillante du parcours d'un raté à qui on aurait souhaité meilleur sort. L'histoire d'un type qui gâchera des opportunités, doutera mais s'accrochera toujours à ce qui est sa raison de vivre et son quotidien. Une oeuvre belle et poignante qui donne d'ailleurs envie de se plonger dans une session de musique folk et d'écouter la musique de l'artiste dont le film s'inspire. Une perle des frères Coen et l'un de mes gros coups de coeur de l'année.
Moorhuhn
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le 7 nov. 2013

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Moorhuhn

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