Il aura donc fallu le plus impersonnel et le plus balourd film des frères Coen, True Grit, pour que le public comprenne enfin, en se jetant avec candeur dans les salles de cinéma, l’importance du cinéma des deux cinéastes américains dans le paysage cinématographique et la richesse que leurs précédentes créations recelaient. Or, s’il y a bien un élément que l’on peut trouver louable à True Grit, c’était bien la structure initiatique que le duo américain avait construite à travers le personnage de Mattie Ross et qui se retrouve aujourd’hui dans la magnificence crépusculaire qui découle d’Inside Llewyn Davis.

Inside Llewyn Davis est à la fois une odyssée et une chanson. Cyclique comme une mélodie, troublante comme un voyage initiatique, le film joue constamment à faire basculer la balance entre le rire et la tristesse, jusqu’à allier les deux dans une confusion générale, une mélancolie qui se généralise, une émotion plus palpable. La prestation d’Oscar Isaac, brillamment hétéroclite, est à l’image du film car il est l’emblème d’une époque dans laquelle l’artiste avance aveugle, davantage rappelé par son passé que par le présent qu’il tente de construire naïvement. Crépusculaire mais aussi vibrant, l’émotion que diffuse le film est le fruit d’une répétition des actes qui rend la destinée de Llewyn Davis à la fois plus belle mais aussi plus vaine. On pourrait ainsi croire que la portée évidente, les thèmes des cinéastes restent les mêmes, quitte à nous resservir les mêmes films à intervalle régulière, or, se dégage clairement de ce film une mélancolie, omniprésente, qui n’était alors jamais apparue à ce jour dans les films des deux frères, avec une telle force.

Inspiré de la vie de Dave Van Ronk, Inside Llewyn Davis se joue du temps et du réel pour imposer l’homme face à sa nature, l’exposer délicatement face à l’inécoutable, montrer que le propos servi par les cinéastes demeure intemporel entre tout homme et que la mélancolie qui s’en échappe ne demeure pas qu’un élément de mis en scène, remarquablement mis en exergue par la photographie de Bruno Delbonnel, mais la part d’un monolithe dans l’introspection que dresse les cinéastes au fil de leurs films. Que dire alors quand le regard, d’abord intimiste, s’élargit à toute une époque et que le film prend des tournures tragiques radicales, que la réalisation ténébreuse des frères devient magistrale et que la peur du lendemain devient entière, consciente. Inside Llewyn Davis ne façonne pas seulement la chronique d’un loser magnifique, magnifié par ses auteurs, mais celle d’une époque dans laquelle la scène et la musique en général demeuraient une entité.

Filmant les dérives de la société avec un sens de la dramaturgie hors pair, les deux réalisateurs évoquent avec finesse un milieu cafardeux, où le voyage apparaît comme le dernier recours pour fuir une existence condamnée par la tristesse ou l’ennui. Une banalisation que les cinéastes mettent en image dans un dernier quart d’heure au travers d’un procédé cyclique qui donne alors à Inside Llewyn Davis une puissance, une beauté tant du domaine de la curiosité que de la cohérence. Les prestations de Carey Mulligan, Justin Timberlake et Garett Hedlund, surprenantes et lumineuses, viennent s’ajouter à la longue ballade des frères Coen comme l’ultime réussite d’un film dont l’amertume et la luminosité constantes demeurent la principale conflictualité d’une œuvre où le personnage ne cesse d’osciller entre l’ombre de la scène et la lumière des appartements qu’il arpente. Sombre et inconsciemment optimiste, Inside Llewyn Davis est un film magnifique dont la spontanéité, l’aisance avec laquelle il traite son sujet parvient à faire oublier un rythme parfois désabusé qui pourrait mettre le spectateur de côté.
Adam_O_Sanchez
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le 28 déc. 2013

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Adam Sanchez

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