C'est brutal. Sec. Froid.


La folk, ça fait mal, ça serre. Ça se chante seul, guitare en main, face au micro. Il faut que ça frotte, que ça vienne de loin. Le problème, c'est le public. C'est pas la peine de pondre une merveille sur la scène du Gaslight Cafe, de se montrer à vif derrière six cordes et un morceau de bois.
Lui il comprend pas, il veut 4 accords et une chanson joyeuse. Il veut oublier ses problèmes. La mélancolie c'est pas vendeur.


Alors faut ranger sa guitare un moment. Errer dans les rues, souffler son spleen dans le froid de Greenwich Village, s'accrocher à des petits jobs pour boucler les fins de mois. Tout ça en espérant qu'un jour, enfin on s'intéresse à la musique, la vraie.


Mais non. Retour à la case départ. Crécher sur le canapé des potes, traîner sa veste usée dans le brouillard, poursuivre un chat fuyard. Toujours rien, ça ne se vendra pas.
Essayer, encore, jusqu'à comprendre que la folk, ça passera pas. Que vouloir raconter quelque chose, transmettre une émotion brute, c'est inutile.


C'était pourtant ça le but. D'une voix, portée par une simple guitare, fracasser un mur dans les têtes. Celui qui retient les émotions, celui de la rationalisation. Faire sauter toutes ces limites, et atteindre, bien plus profond, le coeur de l'émotion. Elle est là, la musique. Il est là le talent. C'est de faire beaucoup avec peu. Raviver des émotions, des souvenirs.
Faire pleurer, peut-être. Mais c'est ça la folk. C'est brut, c'est fort.
Ça frappe.
Ça fait mal.


Tant pis pour eux s'ils l'ont pas compris. Tant pis si ça veut dire que le succès, ce sera pour les autres. Aussi souhaitable qu'il soit, c'est pas pour ça qu'ils font de la musique, tous ces losers magnifiques, ces prodiges qui sont passés à côté.
Ça en fait des mecs qui ont jamais vu le jour, qu'ont marché dans le brouillard pendant des années, guitare sur l'épaule. Tu peux être sûr que leur chemin, il est pas tracé. Ils savent pas où ils vont, ils savent pas pourquoi ils y vont, mais au fond ils ont pas d'autre option que d'y aller. C'est tout ce qu'ils savent faire.


Ils flânent de ville en ville, s'égarent entre deux cafés, tentent de survivre tant bien que mal. Pour certains, l'histoire leur rendra justice. D'autres resteront des anonymes. Mais tous vivront dans l'indifférence, porteurs d'une trop grande vérité pour être écoutés.


C'est une vie en noir et blanc qui les attend, partagée entre les nuances d'une solitude inévitable et d'une invincible mélancolie. Paradoxalement, c'est peut-être de là que l'inspiration jaillit, peut-être que c'est nécessaire, le prix à payer.


Des qui comme Llewyn se sont perdus dans le froid et ont fini la gueule par terre, y'en a des milliers. A hurler dans le vent, à cracher dans le vide, ils ont fini par tomber. Ils rêvent dans la poussière.
Mais plus jamais on ne les ignorera.
Dans cette poussière, ils cachent des diamants.

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le 8 déc. 2015

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Black_Key

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