Christopher Nolan et la perfection du geste

Au-dessus des étendues gelées flotte un petit avion que la caméra parvient à saisir dans son mouvement rectiligne. Ces plans magnifiques se voient pourtant heurtés par des flashs à la signification encore obscure, des perturbations dans la linéarité du geste. Car tout le cinéma de Christopher Nolan pourrait se résumer en cela : la quête d’une perfection du geste, et les obstacles qui nuisent à sa concrétisation. Insomnia s’empare des brouillages dus à l’absence de sommeil pour mieux allégoriser les aléas d’une conscience qui ne peut dormir en se sachant souillée, corrompue, rongée par la culpabilité. Le héros face à lui-même. Le héros confronté à son ombre destructrice et avec laquelle il s’efforce de cohabiter, jusqu’au point de non-retour. Chevalier noir, Will Dormer – au nom symptomatique – est embarqué dans une enquête cathartique qui rend concrets ses démons intérieurs : il suffit de le voir errer sur cette plage recouverte de brouillard, comme sur un champ de bataille ou dans une zone intermédiaire entre la vie et la mort, pour comprendre l’ambition du cinéaste, à savoir la repentance d’un homme qui, seule, lui permettra de trouver l’harmonie, au détriment (peut-être) de la gloire. Car la grande intelligence de Nolan consiste à insérer une chasse à l’homme dans le cadre d’un récit de transmission : le grand policier venu de Los Angeles représente, aux yeux d’Ellie Burr, une figure paternelle, un modèle à imiter. Et la clausule du métrage restaure, dans cette noirceur humaine sur paysages illuminés, l’équilibre des forces et la justice. Tout Insomnia est obsédé par l’idée de rendre la justice, de l’enquête elle-même jusqu’à la discussion entre Dormer et la femme responsable de l’hôtel. Le microcosme de Christopher Nolan ne semble pouvoir vivre de façon détraquée : le chaos agit pour, à terme, rebâtir du sens, refonder une humanité vierge de toute tache. Choisir l’Alaska comme cadre porteur de l’action achève le geste : du blanc initial au blanc final, en passant par des teintes noires et rouge sang. Une œuvre brillante.

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le 24 août 2019

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