Interstellar… ou le fantasme du chef d’œuvre

Attendu comme le messie en cette fin d’année 2014, qui a eu son lot de science-fiction, bonne ou mauvaise, de Under the Skin de Jonathan Glazer à Transformers IV de Michael Bay, en passant par Young Ones de Jake Paltrow et Guardians of the Galaxy de James Gunn, Interstellar est, avant d’être un film, un pur produit de fantasme né de la publicité intelligente mené par un Cristopher Nolan qui, à la manière de J.J. Abrams lors de Cloverfield ou Super 8, avait su faire naître chez le spectateur, qu’il soit amateur, cinéphile ou spécialiste, une envie débordante de voir le film en salles. En ne dévoilant que très peu d’images, une intrigue très sommaire et quelques affiches magnifiques, le film accéda quasiment au statut de futur chef d’œuvre de la science-fiction avant même sa sortie. Mais comme pour Cloverfield ou Super 8, Interstellar n’en est pas un, et malgré l’aura qui l’a précédé pendant des mois, beaucoup de spectateurs n’ont pas été dupes. Attention, j’ai aimé le film, mais je pense qu’il ne mérite pas sa place dans le palmarès du cinéma 2014.


Avant de nous embarquer pour un voyage à travers les dimensions, le film commence sur une Terre à l’agonie pour les humains, qui n’ont plus l’air d’être les bienvenus. Cooper ( joué par un Matthew McConaughey comme à son habitude sublime ) ancien pilote de la NASA reconverti en fermier pour aider à la famine mondiale qui guette, vit avec sa fille Murphy, son fils …….. et son beau-père dans une ferme du mid-west américain typique, entouré de centaines d’hectares de champs de maïs, et à quelques encablures du terrain de base-ball et du lycée : c’est clair, le film est américain, mais comme disait Hitchcock, "Il vaut mieux partir d’un cliché… que d’y arriver”. Cristopher Nolan prend alors le temps d’installer ses personnages au sein d’un monde crédible, dans lequel la fin du monde n’est pas spectaculaire, et présente un scénario d’actualité : l’agriculture intensive a appauvri les sols et favorisé les maladies agricoles, jusqu’à l’extinction de certaines céréales comme le blé, menant l’espèce humaine vers une situation de famine globale. Il n’y a pas grand chose à voir dans cette fin là, mais comme Nolan est un faiseur d’images, il personnifie visuellement l’apocalypse par des tempêtes de poussières, faisant de manière simple mais efficace l’analogie de l’Homme qui redeviendra poussière.


Dés que le monde est connu et considéré comme acquis, la véritable histoire commence, et c’est alors également dans cette poussière que l’Homme découvre son salut. À partir de ce moment, tout s’enchaîne à un rythme effréné pendant plus de deux heures, les faiblesses d’une écriture soi-disant dense se font alors ressentir. En effet, beaucoup de situations sont résolu de manière trop simplistes et on a du mal à y croire, comme lorsque Cooper découvre les coordonnées dans la poussière, et en quelques secondes comprend que c’est la gravité qui lui parle, fait son sac de voyages, décide de partir à l’aventure et à peine 10 minutes plus tard, il est dans l’espace. Le film présente alors plus de solutions que de problèmes, et donnent l’impression de ne jamais s’attarder sur un questionnement, qu’il soit scientifique, philosophique ou tout simplement narratif. On a également le droit à des raccourcis temporels énormes où 60 minutes se transforment en 2 minutes, non pas sous couvert de relativité temporelle, mais bien à cause d’une écriture trop rapide qui répond avant même d’avoir posé une question. Le film ne bouscule alors jamais le spectateur, et tout à l’air déjà acquis.


Le propos, promettant sur le papier un vrai challenge intellectuelle, est alors à l’image de la majeure partie de la science-fiction américaine, une extension du western et de la conquête américaine, ne pouvant ainsi pas prétendre à l’universalisme philosophique d’un 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick, ou d’un Avatar dans lequel James Cameron n’a jamais voulu complexifié son scénario, basant son histoire sur des motifs éculés permettant au spectateur de se perdre dans un univers fantasmagorique immersif. À l’image de ce dernier, dans lequel la technologie la plus avancée du cinéma était mis au service d’une histoire ultra simpliste, ce qui intéresse le plus dans Interstellar est ce bond gigantesque qui s’opère entre l’agriculture, à la base de sûrement toutes civilisations, et la voyage interstellaire, deux choses si éloignées qui finalement se regardent et se croisent, et font du film plus un drame intimiste qu’une épopée spatiale de grande envergure, grâce à ces retours constants sur Terre et une mise en scène qui ne s’égare pas dans l’accumulation de plans extraordinaires de l’espace, même si on a le droit à quelques séquences magnifiques de traversées de trou noir ou de trou de ver. C’est là que Interstellar réussit son pari de faire du voyage spatiale une expérience crédible qui utilise un vrai silence et un montage alterné intelligent oscillant entre gros plans et plans larges ( très très larges ), perdant le spectateur dans des images silencieuses et grandioses, bruyantes et intimes, où la perception est distordue et le temps distendue.


Une des autres réussites du film est, sans aucun doute, la musique de Hans Zimmer qui signe son meilleur score depuis bien longtemps. En utilisant l’orgue comme instrument principal, il donne à la musique un ton funeste et gigantesque, atteignant la plénitude écrasante et dérangeante que l’on peut ressentir dans une cathédrale. Montée et mixée de manière intelligente, et sachant s’effacer quand il le faut, la musique ne remplit pas l’espace de la salle, mais devient un personnage participant à la montée en tension de certaines séquences, comme lorsqu’après l’explosion de la navette, Cooper doit s’aligner sur la rotation de la station spatiale, qui est d’ailleurs de loin la séquence la plus réussie du film, aussi bien d’un point de vue narratif que rythmique.


Jamais ennuyeux malgré une durée de 3 heures, les quelques aspects positifs ne suffisent pas, et le long-métrage ne parvient jamais à convaincre totalement, faute à un rythme globalement trop rapide, ne prenant jamais le temps d’installer une situation, et préférant donner les résolutions le plus rapidement possible. Le film aurait même gagné avec 1 heure de métrage en plus, dans laquelle les réponses auraient peut-être eu des questions ( ne sachant pas si le film aura le droit à une director’s cut à sa sortie en Blu-ray, je reviendrais dessus à ce moment ).


Interstellar est ce genre de films qu’il faut découvrir au cinéma. Déjà parce que Cristopher Nolan n’a finalement pas réalisé tant de films que ça, mais a réussi à chaque fois à en faire un phénomène, à l’image de sa trilogie Batman, très inégale mais convaincante, ou de sa trilogie de la création beaucoup plus aboutie et intéressante avec Memento, The Prestige et Inception. Également, il est un des rares réalisateurs à Hollywood pouvant prétendre à être un auteur, donc quand un de ses films sort, il faut le voir. Mais, malgré des qualités de metteur en scène et de scénariste indéniables, il est, à l’image de son film, terriblement frustrant. En effet, on sent son envie de nous faire partager sa vision, mais, en restant bloqué dans une économie hollywoodienne qui privilégie la forme ( le spectacle et le divertissement ) sur le fond ( le sens ), il se met constamment des bâtons dans les roues et prouve une fois de plus que ce n’est pas avec un budget colossal que l’on fera forcément le film du siècle, ou avant ça, le film de l’année.


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VictorTsaconas
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le 9 déc. 2014

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Victor Tsaconas

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