Oui, je vais divulgâcher sans vergogne.


Contrairement à ce que l'on pourrait croire au premier abord, Interstellar n'est pas l'histoire de Matthew McConaughey qui sauve la Terre parce que c'est le seul moyen de sauver la vie de sa fille mais bien celle d'Anne Hathaway qui sauve la race humaine toute entière par amour pour un homme. Derrière tout l'imbroglio de son intrigue (On sait que Matthew est mis sur la trace de la mission par les "humains du futurs" et qu'ainsi il peut communiquer des données à sa fille pour lui permettre de sauver les gens de la Terre... et ces "humains du futur" ne sont en fait que les descendants des colonies d'embryons qu'Hathaway va cultiver sur la planète d'où émet la balise de son amour perdu, destination qu'elle choisit comme étant la meilleure option... au "premier voyage" qu'elle fait sans Matthew, puisqu'il n'a aucun moyen d'avoir les coordonnées de la base, Anne sauve l'espèce qui à son tour ira chercher Matthew pour sauver les habitants de la Terre.... ah ouais et avec ça on n'a même pas évoquer la distorsion du temps) Christopher Nolan nous raconte tout simplement la puissance de l'amour, ce sentiment qui transcende toutes les barrières pour faire de nous des personnes meilleures. Il y a d'ailleurs le dialogue clé d'Anne Hathaway pour nous l'expliquer, et il y a aussi le moment de la "première poignée de main" pour établir la relation qui dépasse le temps et l'espace entre les deux héros. Interstellar est faussement compliqué en surface, comme toujours chez Nolan, mais il reste réellement dense et intéressant sur le fond, comme souvent chez Nolan.


La thématique ainsi isolée peut sembler naïve mais c'est pourtant difficile de ne pas être un minimum touché par le destin de ces personnages perdus au milieu de nul part qui doivent trouver la force de continuer leur mission. Difficile de nier qu'il y a probablement une couche de pathos et de dialogues explicatifs un peu lourdingues dans les 2h45 du métrage. C'est là tout le paradoxe d'un réalisateur capable de faire un film plus malin que la moyenne, articulé autour d'une narration alambiquée mais qui ne semble pas tout à fait capable de faire confiance à l'intelligence de son public pour le démêler. Un défaut qui plombait déjà, un peu, le part ailleurs très bon Inception. On retrouve ce côté un peu coincé entre les enjeux économique du blockbuster et de son public-type et la volonté du metteur en scène de faire quelque chose d'ambitieux et de plus profond. Ainsi, il y a quelques éléments qui ne semblent pas tout à fait en place (L'intervention de Matt Damon relève du génie de casting mais pour un personnage mal dégrossi au niveau de l'écriture, même si on comprend qu'il sert à montrer que notre égoïsme ne peut qu'entraîner notre perte) et quelques coïncidences un peu énormes (le sauvetage du beau Matthew alors qu'il lui reste 1% d'oxygène dans son scaphandre) mais l'ensemble fonctionne quand même plutôt bien.


Ca fonctionne grâce à cette relation père-fille qui tient habillement tout le film à son premier niveau de lecture, à savoir celui du père prête à tout pour sauver ses enfants. McConaughey n'articule pas plus que dans ses autres rôles récents mais sa présence reste toujours aussi magnétique. Les autres niveaux de lecture, ceux où on place la scientifique dont la détermination s'appuie sur une conviction irrationnelle comme personnage principal, permettent de donner du liant entre différents éléments à priori incongrus ou illogiques. Ca fonctionne aussi grâce à une direction artistique sublime (les vaisseaux et les robots sont particulièrement réussis) magnifiée par des images qui ne le sont pas moins. La mise en scène de Nolan trouve le bon équilibre entre science-fiction pseudo réaliste et grand spectacle. Il emballe ainsi des moments vraiment sidérants comme lorsqu'il filme un monde dont la surface est balayé par des creux cauchemardesques, quand il confronte ses personnages au temps qui a passé sans eux ou lorsqu'il nous colle au siège lors de manoeuvres désespérés d'un équipage désormais prêt à tous les sacrifices. La mécanique fonctionne d'autant mieux qu'Hans Zimmer laisse ses vieilles recettes pantouflardes au placard pour nous pondre un score musical vraiment très réussi, sorte de chaînon manquant entre Philip Glass et la bande originale de 2001, L'odyssée de L'espace.


Interstellar c'est ce grand écart perpétuel entre l'originalité et le référentiel, entre l'émotion et la réflexion, entre les obsessions d'un auteur et les impératifs d'un blockbuster. On sent encore Nolan prisonnier de ces dilemmes et tout ce qu'il manque à son épopée spatiale ce n'est pas tant de tailler dans le gras (malgré la durée le film reste fluide) que de tailler dans le vif, comme il avait si bien su le faire dans Le Prestige, qui reste encore aujourd'hui son chef d'oeuvre. En honnête manipulateur qu'il est, Christopher Nolan accouche d'un film certes imparfait aux entournures mais qui s'élève sans mal au dessus de la masse des blockbusters kleenex fabriqués à la chaîne. Si Interstellar réussi là où tant d'autres blockbusters tout autant pété de thunes que lui ont échoué c'est parce que c'est avant tout un film qui a de l'esprit autant qu'il a du cœur.

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le 21 août 2015

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