La SF est un genre qui se porte mal ces dernières années. Marvel mis à part (si tant est que Marvel puisse en être qualifié), on a de belles bouses telles que Lucy ou Prometheus. Ce type d'exemple brille par la médiocrité de la portée de son message. Le cinéma est un art. Comme tout art il doit transcender son public. Pas seulement visuellement, pas seulement narrativement mais surtout sur les idées qu'il véhicule. Un film réussit lorsqu'il vous fait sortir de la salle avec un questionnement au pire insoupçonné, au mieux transcendantal.
Interstellar a cette ambition. Et ce n'est pas étonnant qu'il l'ait lorsque l'on observe la filmographie de Christopher Nolan. Passé au rang désiré de maître dans la matière avec Interstellar. Pour moi il rejoint les plus grands noms grâce à Memento, Dark Knight, Inception et maintenant Interstellar.
Malgré cela je ne peux m'empêcher de voir cette dernière itération comme un Nolan en "demie-teinte".
Les 3/4 du film sont purement et simplement un chef-d'oeuvre de SF. Les personnages sont solides, les indices intéressants, la progression captivante. C'est un véritable exploit de rendre le premier acte aussi cool à regarder que le reste alors que le spectateur n'a qu'une hâte: aller dans l'espace. La fin du monde est proche mais de manière étonnamment subtile. Tout se transforme en poussière pour des raisons peu précises. On y fait l'analogie avec ce type d'objet qu'on retrouve dans un placard après de nombreuses années et qu'on le jette parce qu'il est tellement poussiéreux qu'il ne vaut plus rien. C'est simple, c'est pas pédant et surtout c'est élégant.
Pendant l'ensemble du film on est pris à la gorge par le même questionnement que les protagonistes. A savoir, doit-on sauver la terre ou sauver l'espèce (sacrifiant les derniers survivants de la terre). Et c'est une question pour le moins délicate et le film s'amuse à nous faire osciller d'un pan à l'autre du problème. Un problème colossal posé entre les mains d'une poignée de scientifiques qui partent tous avec l'handicap d'être humain. Ce qui amène les émotions, l'instinct de survie, de prédateur, le besoin de stabilité, d'un foyer. Et c'est exactement ça que j'appelle de la bonne grosse SF qui projette l'humain face à des questionnement où instinct et rationalité se confrontent. Et puisqu'on est dans un film provoquent le peps, le sel, le thrill, l'intensité et le suspenses de ce que l'on voit à l'écran. Les quelques climax qui parsèment le second acte en sont une parfaite représentation. Je ne spoilerai donc pas ces passages (figurant dans le trailer désolé) de haute volée très influencés par l'esthétique de Nolan. Ces parallèles très fins et jamais lourdeaux entre deux espaces temps. Des conflits surprenants et haletant tant les enjeux de ces problèmes humains sont énormes. Les personnages marchent sur un fil avec le poids de l'humanité sur leurs épaules et on le sent. C'est un autre exploit brillamment remporter que de faire sentir à son spectateur ce poids de l'enjeu. Et au risque de me répéter, autre donnée indispensable de la catégorie de la bonne grosse SF.

Mais alors tout le monde saute sur des paquerettes et on fait du surf sur des tsunamis devant cette avalanche de qualités. Mais bon dieu qu'est-ce qui va se passer? Il y a un "mais".

Et avant d'écrire cette critique j'ai eu la curiosité de me renseigner car tout cet ultime acte, bien qu'intéressant, me laissait perplexe. Quelque chose a cloché sur la fin. Et effectivement. Le script d'origine écrit en 2008 par Jonathan Nolan (destiné à la base à Steven Spielberg) décrit un troisième acte qui poursuit bien mieux la tendance grosse SF, très rare au cinéma, que ce que l'on a pu voir aujourd'hui au cinéma. Au début je croyais à une décision de producteurs de faire un happy ending et une fin fermée. Ce n'est pourtant pas le genre de Nolan. La réalité est pire.

[SPOILERS]
Lors du troisième acte Coop rentre dans le trou noir et se retrouve dans un dimension qui permet de tordre l'espace-temps. C'est grâce à ça qu'il parvient à communiquer les indices du début du film à sa fille. Enfin il lui transmet en binaire une "théorie" réunissant relativité et physique quantique qui permettra à Murph de sauver l'humanité. Après une petite feinte on retrouve Coop à la dérive dans l'espace et se réveiller dans l'hôpital d'une station spaciale. Il va donc voir sa fille de 100 ans puis décide de partir à la recherche d'Anne Hathaway occupée à coloniser une nouvelle planète.
[SPOILERS]

Avec cette fin on retrouve effectivement la patte Nolan dans la mesure où on parle de cette fin et on tente de trouver la logique de cette fin. Là où c'est moins du Nolan c'est que la fin est relativement facile à déchiffrer et loupe la portée du film. La morale tombe à plat et devient difficile à discerner. Alors qu'on était en train de se poser des question existentielles pendant 2 heures, on retombe sur quelque chose de très lié à l'amour teinté de science. Nolan a rempli son objectif. La fin n'est pas mauvaise, elle est plutôt efficace, elle est cohérente avec le reste du film, elle boucle l'arc narratif (à l'inverse de Inception) et on en parle en sortant.

Sauf que le script de Jonathan poursuivait cette tradition de questionnement métaphysique. Et personnellement j'aurais préféré voir ça plutôt que d'essayer de mener l'enquête avec mes amis pour savoir en quoi la fin tient debout.

["SPOILER"]- Fin de 2008
Une fois dans le trou noir, Coop tombe sur un grande station spaciale construite par des humains maintenue en place sur des milliers d'années. C'est de là que sortait la sonde vue dans la première partie fonctionnant à l'énergie quantique. Coop lui-même envoie cet engin pour que Murph le déchiffre sur terre pendant qu'il n'est pas là. la dernière partie où il se réveille dans un hôpital demeure quasiment inchangée
["SPOILER"]

On peut effectivement faire écho des mêmes problèmes entre les deux fins. Dans la mesure où la partie où Coop se réveille est en trop. Mais cette fin coupée fait entrer en jeu une population d'humanoides supérieurs dont la simple existence permettait de poursuivre le questionnement "hard-SF" sur d'où on vient et où on va.

Interstellar c'est presque un chef-d'oeuvre intégral. Il figure malgré tout comme un énorme bond en avant vers, je l'espère, de la SF comme dans les bouquins. Qui nous transcende et nous fait nous poser les bonnes questions sur notre place dans l'univers. A l'image des 3 premiers quarts malheureusement atténués par le dernier.
davidalin96
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le 5 nov. 2014

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davidalin96

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