« Papa, il y a un fantôme dans ma chambre… »

Avant toute chose, je dois avouer que, sous l’effet des teasings de mes proches, de l’intense promotion qui a été faite autour, et de l’intérêt que je porte à Nolan et McConaughey, « Interstellar » est un film sur lequel j’ai placé certains espoirs : espoir du blockbuster de l’année, espoir du renouveau de la SF, espoir de voir enfin l’espace se retrouver retranscrit à l’écran de manière scientifiquement satisfaisante… Quelle ne fut pas ma déception en sortant de la salle…!

« La fin du monde approche - tout du moins, les signes annonciateurs le soulignent clairement – et les humains n’ont pas d’autre choix que de partir explorer l’univers à la recherche d’une autre planète habitable. C’est ainsi qu’une équipe d’explorateurs est envoyée dans l’espace afin de récupérer des données et de sélectionner le monde le plus viable. »

Comment ne pas rêver avec un tel pitch tant il est ambitieux?

D’une efficacité discutable, le scénario surfe pudiquement sur la mouvance catastrophiste tout en ne sombrant pas dans l’écueil du moralisme et de la culpabilisation de bas étage : bon point. Seulement, il se tourne résolument vers un optimisme exacerbé – Hollywood oblige j’imagine – qui ne peut que laisser un tant soit peu perplexe tout un chacun qui s’y attarderait un minimum tant les choses arrivent et se résolvent à point nommé, à la limite du nanar… Car effectivement, il est bien question de naïveté dans « Interstellar », même de facilité, et c’est là tout le problème : la facilité avec laquelle la vie de Cooper est présentée ; la facilité avec laquelle il se retrouve impliqué dans la mission de "sauvetage" de l’humanité ; la facilité avec laquelle le voyage interstellaire est mené ; la naïveté avec laquelle les bons sentiments ont toujours raison et triomphent de l’adversité ; la facilité avec laquelle sont manipulés les concepts d’astrophysique uniquement en faveur du récit… Si on rajoute à cela les réactions parfois incohérentes de certains personnages, le tableau perd de sa superbe !

Alors certes, les sujets ne manquent pas dans le film (la place de l’homme dans l’univers, le rapport à la machine, la paternité, le sens du devoir et du sacrifice, la politique et sa "nécessaire" propagande,…) mais au final l’ensemble ressemble d’avantage à un melting pot de thématiques à demi-traitées, ce qui pour moi est particulièrement frustrant puisqu’il a le mérite de les avoir au moins abordé. En cela, je le comparerai volontiers à « Transcendance » de Wally Pfister sorti quelques mois plus tôt.

Je tiens aussi à mettre au clair les choses pour les non-scientifiques qui me liront : « Interstellar » récence bon nombre d’aberrations.

A en croire les interviews, les bases scénaristiques du film ont été proposées par un certain Kip Stephen Thorne, physicien théoricien de métier, à Steven Spielberg qui finira par abandonner le projet. Celui-ci sera repris plusieurs années plus tard par Christopher Nolan qui témoignera d’une certaine volonté d’être crédible scientifiquement parlant à tel point que, par exemple, les travaux de modélisation de Thorne seront repris pour simuler l’apparence du trou noir Garganthua. Ainsi, tout au long du film, des éléments allant dans ce sens font leur apparition : les problématiques de distorsion spatio-temporelle liée à la relativité générale, le travail sur le son perçu en fonction du positionnement de la caméra (hors ou dans le cockpit), la représentation des catastrophes climatiques, les principes de la chute libre,… L’intention est là et ça mérite d’être salué.

Là où le bât blesse c’est que, pour des raisons purement scénaristiques, tout cela disparait comme neige au soleil quand il s’agit d’aboutir à un dénouement. Personne ne va se demander ce qu’est un trou noir. Personne ne va se demander comment un trou noir interstellaire comme Garganthua peut se former. Personne ne va se demander si un système planétaire peut exister et persister autour d’un tel monstre. Personne ne va se demander qu’est-ce qui éclaire les planètes dans le film. Personne ne va se demander ce qu’est un disque d’accrétion (l’espèce d’immense anneau qui entoure le trou noir). Personne ne va se demander comment un fuselage d’un vaisseau (sans bouclier thermique) dont une partie est endommagée risque d’être pulvérisé en pénétrant dans l’atmosphère d’une planète mais qui la minute d’après résiste tranquillement à l’approche du trou noir. Personne ne va se demander le devenir de tout objet qui approche et pénètre l’horizon d’un trou noir. ET C’EST NORMAL !

J’éviterai de partir dans des explications complexes mais ceux qui ont un minimum de culture sur le sujet et ceux qui veulent bien se renseigner comprendront vite à quel point tout cela est ni plus ni moins du délire absolu.

Je pose donc la question : à quoi cela sert-il d’incorporer un certain degré de réalisme scientifique d’un côté si c’est pour balayer tout ce que cela sous-tend de l’autre? Que cela soit assumé comme j’ai pu l’entendre dire ici ou là est un argument un peu facile à mon gout (si tant est qu’on puisse qualifier cela d’argument…) d’autant plus que cela dessert les conflits dans lesquels sont pris les protagonistes. On peut citer par exemple le traitement du temps dans le film comme d’une ressource, chose qui se retrouve complètement contredite par le dénouement ce qui a pour effet à postériori de désamorcer cette mécanique pourtant excellente.

Globalement, on peut dire que Nolan mise sur l’ignorance et la crédulité de ses spectateurs pour se tirer d’affaire face aux dures lois de la nature, mais ce n’est pas sans user de quelques ficelles. On peut citer les talents de son casting, quelques séquences (non moins intéressantes) censées tirer la larme, de belles images qui arrachent les yeux, ses propres talents de réalisateur et l’excellente bande son d’Hans Zimmer. Emballé c’est pesé !

Tous ces éléments contradictoires posent plus que jamais à mon sens la question de ce qu’est un bon film et du caractère très relatif d’un tel verdict. Une chose est sûre : « Interstellar » fait réfléchir, on ne peut pas lui enlever ça.
JamesSunderland
6
Écrit par

Créée

le 20 nov. 2014

Critique lue 423 fois

1 j'aime

JamesSunderland

Écrit par

Critique lue 423 fois

1

D'autres avis sur Interstellar

Interstellar
Samu-L
8

Rage against the dying of the light.

Un grand film, pour moi, c'est un film qui m'empêche de dormir. Un film qui ne s'évapore pas, qui reste, qui continue à mijoter sous mon crâne épais, qui hante mon esprit. Le genre de film qui vous...

le 6 nov. 2014

428 j'aime

72

Interstellar
blig
10

Tous les chemins mènent à l'Homme

Malgré ce que j'entends dire ou lis sur le site ou ailleurs, à savoir que les comparaisons avec 2001 : L'Odyssée de l'Espace sont illégitimes et n'ont pas lieu d'être, le spectre de Kubrick...

Par

le 28 févr. 2015

329 j'aime

83

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

296 j'aime

141

Du même critique

Parker Lewis ne perd jamais
JamesSunderland
5

Y a t'il seulement UNE personne qui ait vu cette série en entier!?

« Parker Lewis ne perd jamais » est le pur fruit d’une époque : véritable caricature des années « lycée » américaines de la fin des eighties, la série a su s’imposer par son cocktail efficace de...

le 29 nov. 2014

6 j'aime

1

Tolkien
JamesSunderland
4

Critique de Tolkien par JamesSunderland

Encore un """biopic""" qui passe à côté de son sujet et qui explique au spectateur, à grand renfort de pathos, d'avantage comment le protagoniste principal a fondé sa famille que comment il a fondé...

le 3 sept. 2020

5 j'aime

1

Life is Strange 2
JamesSunderland
5

L'homélie du père Dontnod

« Bah écoutez... J'ai écouté l’homélie du père Dontnod et je suis encore un peu ébloui... Y'a les méchants et les gentils. Y'a les vilains qui veulent la pureté, la purification, l'horreur, quasiment...

le 23 mai 2021

5 j'aime