Qu’on se le dise, le nombre d’entrées en salle ne détermine en rien la qualité d’un film, Bienvenue Chez Les Ch’tis l’a amplement démontré. Film très surestimé qu’on se dépêche d’aller voir et qui déçoit tant il n’est pas à la hauteur du battage médiatique, il aura sans doute été une des meilleures manipulations commerciales de l’histoire du cinéma français. On s’assoit alors devant Intouchables avec l’angoisse au ventre, persuadé qu’il s’agit encore d’un business bien rentable, d’une soupe indigeste qu’on va nous forcer à avaler et qu’Omar Sy ne peut qu’avoir usurpé son César.

Oui mais non en fait, ici ce n’est pas du tout le cas. Intouchables est très loin du produit uniquement commercial calibré et destiné à lobotomiser des masses de pseudo-cinéphiles dopés au pop-corn. On est très loin d’un film lisse et pathos jusqu’à l’écœurement même si le sujet est sensible et particulièrement risqué. Nakache et Tolédano s’en sortent magnifiquement en réalisant un film qui possède une vraie identité, une atmosphère personnelle qui ne se contente pas de s’apitoyer sur ses personnages mais essaie pendant près de deux heures d’en faire deux êtres vivants.

L’histoire est aujourd’hui tellement connue qu’il vaut mieux s’intéresser aux thèmes sous-jacents qu’à la trame elle-même. Philippe et Driss sont deux êtres entre parenthèses, deux êtres affublés d’un handicap et arrivés à un moment de leur vie où tout ce qui la compose leur paraît inutile. Driss a quitté le domicile familiale depuis six mois et vit des A.S.S.E.D.I.C.S. tandis que Philippe, riche à en crever passe sa vie coincé dans son fauteuil à tenter de donner un sens à tout cet argent. Ces deux êtres vont tenter de se sauver l’un l’autre et comme tout les oppose, vont le faire de manières totalement contraires. Driss est un grand balèze de banlieue qui a besoin que quelque chose structure son quotidien, Philippe a besoin au contraire d’un déclic, de quelque chose qui fasse qu’il arrête de se sentir plus enfermé dans sa vie que dans son corps. Les contraires s’attirent en amour et en amitié, ces deux-là vont se découvrir un même goût pour les vannes impitoyables et surtout pour l’investissement émotionnel.

On rit beaucoup et de bon goût, il ne s’agit pas d’humour élitiste mais d’un humour sincère et très souvent grinçant. Omar Sy, s’il fait souvent du Omar & Fred, n’en démontre pas moins qu’il est capable de beaucoup plus et surtout de toucher au cœur, celui de Philippe comme le nôtre. On voit qu’il s’est éclaté sur le tournage, non pas qu’il tourne en dérision un sujet sensible mais plutôt qu’il sent là où la gravité doit être de mise. En témoigne cette scène devenue culte où il danse sur Kool And The Gang comme un Michael Jackson des grands jours et témoigne du même coup toute l’affection qu’il porte à Philippe, transformant un anniversaire coincé du cul en soirée disco. Quel plaisir aussi de retrouver Audrey Fleurot, éternelle Dame Du Lac de Kaamelott et qui dévoile ici, outre un vrai talent pour l’ironie, un petit côté bombe atomique qui ne laissera pas indifférents celles et ceux qui aiment les femmes.

Intouchables touche (je sais qu’elle est facile) et fait vibrer plusieurs cordes sensibles, il évite de manière très naturelle le pathos et le misérabilisme, mais pose quand même un bémol lorsque Philippe rappelle qu’il est un « tétra » riche. On imagine très bien que la vie d’un tétraplégique qui doit se contenter de l’A.A.H. a une vie tout de même beaucoup moins facile. Toujours est-il qu’on en apprend sur les joies et les peines de la vie en fauteuil, sur ce corps humain qui après avoir été un allié pendant des années devient un ennemi à cause d’un accident de parapente. On découvre aussi le handicap de Driss, celui d’être né au mauvais endroit et d’être ainsi devenu malgré lui un handicapé social. Chacun d’eux va découvrir qu’il n’y a d’autre fatalité que celle qu’on veut bien admettre et tenter, avec plus ou moins de succès, de faire de ses faiblesses une force.

Intouchables mérite son succès et sa reconnaissance, il est un film heureux sur le handicap qui, s’il n’a probablement pas fait évoluer notre regard sur les handicaps les plus lourds, a néanmoins tenté de nous habituer à ne pas traiter les handicapés comme des êtres faibles et vulnérables, des assistés soi-disant capables de rien. Film salutaire ? Peut-être, reste à voir comment cela se traduira dans le quotidien, dans les aménagements des bâtiments publics, dans le traitement de la question du handicap par les entreprises ce qui dira si oui ou non, ce film a été utile.
Jambalaya
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le 1 juin 2013

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Jambalaya

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