Une seule scène et puis le reste...

En-dehors du seul plan-séquence de 9 minutes particulièrement réussi dans tout ce qu'il montre et dans tout ce qu'il dénonce, ce film est complètement catastrophique.
Je préviens d'avance que cette critique va être motivée par un désir d'objectivité tout en sachant qu'il existe une part de subjectivité à celle-ci, ce qui explique en quoi certains passages sont virulents vis à vis du film.


Premièrement, j'aimerais évoquer la réalisation. Gaspard Noé n'est pas un virtuose, c'est un amateur dans ce domaine. C'est pas parce que tu bouges ta caméra dans tous les sens pendant une demi-heure qu'on peut crier au génie parce que ce n'est juste pas approprié à ce que tu montres. C'est insoutenable à quel point c'est mauvais cinématographiquement parlant.
Je sais, on va me dire qu'il le fait exprès, que cela permet de renforcer le côté malsain, dérangeant et difficile du film, ça peut s'entendre, mais chez moi ça ne passe pas. Je trouve qu'il y avait cent mille autres façons pour renforcer ce côté que le réalisateur recherchait en établissant des plans d'une plus grande qualité visuelle, en appuyant sur une esthétique plus recherchée sans avoir besoin de bouger n'importe comment la caméra. Là c'est juste moche, lourd, pénible. J'avais sérieusement envie de couper le film au bout de 20 minutes tellement c'est inintéressant ce qui est proposé.


Ensuite vient le choix très contestable d'une chronologie inversée. Bon déjà Noé n'est pas le premier à mettre cela en place et je ne sais pas si c'était réellement judicieux pour ce film. On va me dire que cela permet de jouer sur le côté intemporel et donc irréversible de la situation qui se produit au milieu du film, mais encore une fois c'est extrêmement contestable parce que ça alourdit le film et lui enlève la montée en tension progressive et l'identification possible au personnage de Marcus lors de sa frénésie incontrôlable que l'on suit au début.


D'ailleurs, venons-en aux personnages justement. Le casting n'est pas le problème (hormis Monica Bellucci qui est complètement naze), c'est plutôt l'intérêt que l'on peut porter pour eux. Oui, le film traite d'une thématique centrale (le viol et la vengeance démesurée qui s'en suit) j'ai bien compris. Sauf que ça ne doit pas conduire nécessairement le réalisateur à construire des personnages qui sont des coquilles vides et des parfaites caricatures des gens les plus inintéressants qui existent sur terre. Ce qu'on nous montre au cinéma a une valeur en soi, donc qui l'on décide de montrer et pourquoi doit avoir un sens et contribue grandement à la qualité d'un film. Ce n'est donc pas parce que la thématique globale du film est plutôt intéressante que l'on peut excuser le choix de montrer des personnages si insipides, si inintéressants et si caricaturaux dans leurs personnalités respectives. Le couple formé par Alex et Marcus mais sérieusement... On n'en peut plus de les voir à l'écran, c'est insoutenable sur la fin tellement ils ne dégagent rien alors que la thématique se prêtait à un développement plus particulier de ces personnages. Et puisque les personnages en eux-mêmes ne sont nullement intéressants, leurs discussions le sont tout autant. Sincèrement la scène du métro entre les trois personnages principaux du film mais c'est quoi ça ? Qu'est-ce que cette discussion vient faire ici et dans ce film ? Quel intérêt de nous montrer tout ça ?
Et ce n'est pas du tout parce que je suis mal à l'aise par rapport à ce qui touche à la sexualité, rien à voir, mais pourquoi nous montrer un trio aussi malsain et bizarre qui s'échange le niveau de leurs ébats sexuels en parlant d'une seule et même fille qui est présente avec eux. Franchement c'est d'un niveau ras-des-pâquerettes, je comprends pas ce qu'on peut trouver dans toutes ces scènes juste pénibles et vides, en plus d'être glauques pour être glauques, parce que discuter de sa performance sexuelle juste à côté de son meilleur ami qui est maintenant avec cette même petite amie dont ils parlent mais franchement... C'est juste gênant et voyeuriste pour le plaisir de l'être.


La seule scène du film qui est fondamentalement réussie et même admirable de mise en scène et de réalisme poignant est celle du plan séquence de 9 minutes montrant un viol à l'écran dans une approche ultra-réaliste. C'est donc horrible mais ô combien puissant... J'ai rarement vu une scène de viol aussi bien montrée dans tout ce qu'elle a d'atroce et d'inhumain. Là pour le coup rien à dire, et le jeu de Monica Bellucci est excellent uniquement sur cette scène, et celui du violeur aussi. On est dans l'ultra-réalisme et c'est prodigieux. Je pense qu'ici Noé a bel et bien réussi l'objectif de montrer la cruauté d'un tel acte et la dureté de se retrouver impuissant en tant que spectateur de la scène. On a envie de détourner le regard en tant qu'homme et se dire que cet homme ne nous est pas proche, on ne peut se sentir proche d'un être humain commettant un tel acte. On se le refuse.
Mais voilà, cette seule scène ne peut pas me faire ne serait-ce qu'apprécier un minimum le film pour tout ce qu'il nous montre parce que pour moi tout le reste est complètement raté. Je pense que Noé aurait pu entreprendre d'autres choix de mise en scène, une autre façon de gérer son découpage et ses mouvements de caméra parce que là c'est insupportable à regarder tellement c'est mauvais quand une caméra bouge dans tous les sens et n'importe comment pour donner un "effet de style". J'ai bien compris les petites références glissées à 2001 l'odyssée de l'espace, que ce soit par rapport à l'enfant comme par rapport aux effets de lumière, de couleur, et aux déplacements de caméra particuliers pour donner ces fameux "effets" aux différents spectateurs. Noé essaye de se prendre pour un virtuose de la réalisation, un virtuose en matière de technicité et d'habileté cinématographique pour traiter de cette thématique, mais son sujet ne se prêtait pas du tout à ce type d'exercice raté pour que cette même thématique prenne une amplitude supérieure et que le film nous plonge dans une atmosphère pertinente, angoissante et malsaine.


Et puis les dernières scènes du film sont extrêmement cliché et énervantes. On nous fait encore une fois, ENCORE une fois le coup de la femme enceinte pour essayer de renforcer la tragédie des évènements qui se sont produits. Et ce genre de détail ça m'énerve parce qu'on essaye juste de gonfler du pathos de manière purement artificielle alors qu'il n'y a pas besoin de procéder ainsi et user de cette même facilité redondante, peu originale, ça devient juste lourd et ça fait perdre en crédibilité au film.


Le succès de ce film repose largement sur son côté fortement provocateur, il faut bien l'avouer. Je pense que certaines personnes en sont sorties "secouées" littéralement parlant, ce qui explique qu'il a fait du bruit. Et justement, j'ai tendance à prendre du recul par rapport à tout ça, car ce n'est pas parce qu'un film montre des choses de manière crue qu'il en devient nécessairement bon voire excellent. Il doit son succès sans doute aux deux grandes scènes particulièrement choquantes, mais peut-être aussi parce que ce genre de film plaît facilement dans le sens où on nous présente une scène horrible et un désir imminent de vengeance avec une bestialité et une violence inouïe dans la manière de procéder pour parvenir à son accomplissement


En résumé, je peux clairement affirmer que j'ai détesté ce film pour toutes les raisons indiquées précédemment. Je retiens la scène du viol, extrêmement pertinente, glaçante, frappante, horrible et dont je me souviendrai dans mon expérience cinématographique (d'où le fait que je ne pouvais pas mettre la note de 1). Le reste est vraiment à jeter pour moi. Je n'ai pas du tout aimé cet exercice de style que je juge très peu approprié, très mal géré et le tout accompagné par des personnages et des discussions profondément inintéressantes tout au long du film.

Tystnaden
2
Écrit par

Créée

le 12 déc. 2020

Critique lue 166 fois

6 j'aime

6 commentaires

Tystnaden

Écrit par

Critique lue 166 fois

6
6

D'autres avis sur Irréversible

Irréversible
Behind_the_Mask
9

Illusion of time

Cannes, en mai 2002, et sa polémique, n'aura retenu que la supposée crasse et la nausée, ta provocation un brin adolescente, et ses quelques bien pensants endimanchés qui ont feint l'indignation et...

le 19 juin 2017

90 j'aime

5

Irréversible
MauriceLapon
10

Un beau film génital

Bonjour! L'histoire du film est: des bonhommes se bagarrent dans une salle de fêtes homosexualiste (un des bonhommes = le bonhomme Yves-Saint-Laurent!). Ensuite une vieille femme (elle est...

le 8 févr. 2013

89 j'aime

4

Irréversible
Pravda
5

Critique de Irréversible par Pravda

En lançant Irréversible, je pensais en ressortir, comme 90% des gens, avec un avis tranché : "j'ai adoré" ou "quelle horreur/navet"... Mais non. Ni l'un ni l'autre... Je trouve d'énormes défauts à...

le 7 janv. 2013

89 j'aime

12

Du même critique

Le Vieux Fusil
Tystnaden
3

Du pathos, toujours du pathos et encore du pathos

Le consensus général sur ce film est une véritable énigme, un incroyable mystère. Enfin peut-être ne l'est-il pas vraiment puisqu'il semblerait suffisant de produire un film dans un contexte...

le 14 oct. 2020

18 j'aime

11

2001 : L'Odyssée de l'espace
Tystnaden
10

Valse poétique et philosophique : une odyssée de l'humanité

Il est toujours compliqué d'établir une critique sur les films de Kubrick, mais l'épreuve redouble certainement de difficultés quand il s'agit de 2001, L'odyssée de l'espace, qui marque un tournant...

le 6 avr. 2020

16 j'aime

9

Le Désert rouge
Tystnaden
10

Poésie ardente

Le Désert rouge est un léger tournant dans la carrière brillante du cinéaste Michelangelo Antonioni. Si cette petite révolution s'effectue par l'apparition d'une nouveauté tout de même notable : la...

le 23 janv. 2021

15 j'aime

3