C'est les yeux dans le rétro, en revisitant l'imaginaire du cinéma de John Carpenter et Wes Craven que D.R. Mitchell parvient à renouveler une production horrifique faite de films interchangeables et sans aucune envergure.

Un film d'épouvante, c'est d'abord une ou plusieurs images qui hantent le spectateur, qui le suivent partout justement. Danny Torrance sur son petit vélo, Leatherface tournoyant à l'aube, tronçonneuse en main, le masque blanc de Michael Myers apparaissant derrière une haie à une Jamie Lee Curtis terrorisée. Inventer de telles images n'est pas chose facile, pourtant D.R. Mitchell y parvient avec une idée aussi simple que belle, née de rêves récurrents qu'il faisait enfant : la menace prends la forme de silhouettes fantomatiques, ressemblant à n'importe qui et suivant très lentement Jamie, l'héroïne, l’amenant à fuir pendant tout le film. L'angoisse naît de ces figures apparaissant au loin à l'arrière plan et traversant lentement le large champ du cinémascope. C'est une idée d'une simplicité enfantine et proprement terrifiante puisqu'elle joue habilement avec les différents points de vue (celui du spectateur, celui du personnage et ceux de ses acolytes qui eux ne peuvent voir ces apparitions) et donc avec la question du visible et de l'invisible qui est primordiale dans le cinéma d'épouvante. Elle se double aussi d'une dimension métaphorique assez subtile, car toujours fondue dans une atmosphère envoutante de rêve éveillé, puisqu'elle permet de figurer les différents avatars de l'angoisse adolescente : le sexe (les mystérieuses apparitions sont les symptômes d'une étrange MST), la relation à l'environnement familial, la fuite...
Comme chez Craven, Carpenter ou encore Joe Dante, l'horreur est familière, elle nait dans ce cadre propre et beaucoup trop calme des banlieues américaines, au sein même des pavillons, bouleversant un quotidien monotone. La langueur des vacances, l'atmosphère fantomatique de la banlieue, la mélancolie de l'automne, le cinéaste parvient à saisir tout cela avec beaucoup de douceur et de ce rythme lent et ce cadre paisible surgissent parfois de réjouissantes visions cauchemardesques, terrifiantes et ridicules : la menace prends le plus souvent la forme d'adultes monstrueux (parents ou parfaits inconnus, plus ou moins vieux) dont l'envers malsain serait tout à coup (littéralement) mis à nu; et il va sans dire que cette confiance dans le grotesque est précieuse pour la survie du genre.

Le film vaut également par la poésie qui émane de la mythologie qu'il fait de l'adolescence aux États-Unis. Mignons, spirituels, drôles, fleurs bleues et n'existant qu'en meute, ces personnages terriblement attachants à l'instar des ados de John Hughes ou des enfants de Spielberg ne sont que des images. La très belle idée du film, c'est que le cinéaste les filme de manière idéalisée dans une sorte de monde où tout ce qui les surplombe et entoure (parents, institutions) s'est comme évaporé, un monde qui n'appartient qu'à eux et dans lequel ils se retrouvent seuls face à leurs monstres. La voiture de collection à 16 ans, les virées au lac, les soirées pyjama, les flirts et les premières fois... tout cela non seulement pour faire l'apologie de toute une imagerie cool de la marginalité adolescente (célébrée par un film comme Breakfast Club notamment), mais surtout pour faire surgir de ces références, de cet imaginaire purement cinématographique, une émotion à la fois artificielle et intime qui est aussi celle de certaines pop-songs qui, par leur beauté naïve et puérile, nous renvoient à un idéal de douceur et d'amusement, à une image de la jeunesse comme étant à la fois un âge terrifiant mais aussi les années les plus tendres d'une vie.
Même si le film est quelques fois un peu bancal dans la mise en scène de certaines séquences et du fait de son usage intempestif de la musique et des nappes sonores (bien qu'elles soient diablement efficaces) sur lesquelles semble reposer tout entier l'effroi du film, l'ensemble reste véritablement attachant tant l'amour que D.R. Mitchell porte à ce cinéma s'y fait sentir, le ressuscitant en y insufflant une sensibilité inédite qui se caractérise par un scénario malin, une véritable tendresse pour ses personnages ainsi qu'un véritable parti pris esthétique.
OEHT
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le 24 mai 2014

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