C'est en adoptant un point de vue frontal qu' Elia Suleiman brosse le portrait satirique de la France et des Etats Unis. Tandis que la guerre fait rage en Palestine, le réalisateur interroge la notion de paix en Occident à travers les yeux du personnage qu'il incarne.
A la manière des persans de Montesquieu, E. Suleiman porte un regard empreint de naïveté et de stupéfaction sur notre société. Comme chez le philosophe des Lumières, la candeur du voyageur se double d'une charge critique à l'égard de la civilisation occidentale. A Paris, le réalisateur voit ainsi défiler sous ses yeux ébahis des tanks et des hordes de policiers. La surreprésentation militaire et policière contraste avec le calme qui règne dans une ville désertée par ses habitants. Même constat cynique quand il évolue dans la société américaine et découvre que l'on peut trouver des armes à feu partout. La peinture de nos sociétés est à la fois risible et inquiétante : un peuple de marionnettes futuristes évolue dans des villes où la police est omniprésente. Le silence de Suleiman est bruissant de paroles et son regard face caméra brise le quatrième mur pour appeler le spectateur à s'indigner. On a aussi parfois l'impression de suivre les pérégrinations d' un succédané de M. Hulot, étranger partout, n'ayant de place nulle part mais qui pointe les failles du système. La dimension burlesque du film se double d'un registre plus mélancolique qui confère aux errances du réalisateur une allure poétique : la Palestine s'incarne alors dans la figure de l'Ange poursuivi par la Mort, allégorie des Etats occidentaux. Film méta sur sa condition de réalisateur, E. Souleiman nous fait comprendre qu'il ne se sent à sa place nulle part : chez lui, il est victime d'un voisin envahissant ; chez nous, il fait l'épreuve du migrant dont personne ne veut. L'industrie cinématographique n'est pas épargnée et Suleiman semble régler ses comptes avec des sociétés de production qui refusent ses scénarios car ils manquent de couleur locale, ils ne sont "pas assez palestiniens".
Poétique, critique et burlesque, It must be heaven renoue avec le conte philosophique et nous invite à porter un regard neuf sur notre époque et ses failles qui s'incarnent à l'écran.

Cabou
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le 27 juin 2019

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