S'il y a quelque chose auquel je crois, c'est que le cinéma doit être dialectique. L'essence du cinéma est dans la confrontation. Par conséquent, un film ne peut n'être fait que d'images-perceptions. Selon Deleuze, il y a la perception, l'action et l'affection, ce sont les trois types d'images-mouvements. : l'homme perçoit le monde extérieur, en conséquence de quoi il agit, et d'autre part il est affecté par ce qu'il perçoit. Dans It Must Be Heaven, il n'y a que des perceptions. Un visage quasi impassible et quasi muet comme contrechamp de saynètes déconnectées les unes des autres, tel est le programme auquel le film se tient. Pas d'affection donc car Suleiman garde un même air ahuri tout au long du film, et pas d'action non plus car Suleiman n'interagit pratiquement jamais avec les êtres qui l'entourent. En résulte inévitablement un goût de trop peu. Alors certes les saynètes font montre d'un certain talent, mais le problème n'est pas là : sans confrontation un film ne tient pas debout.
L'autre problème de ce film c'est le caractère par trop artificiel des images qu'il nous propose. Je ne connais pas la Palestine, je ne connais pas non plus New York, en revanche je connais Paris... mais dans le fond ça ne change rien puisque de ces trois lieux Suleiman ne nous montre que des clichés. Non seulement le personnage Suleiman ne se confronte pas à ce qui l'entoure, mais ce qui l'entoure ne lui renvoie même pas l'image d'une âpre réalité. Tout a l'air trafiqué, faux. It Must Be Heaven est une vision de touriste, y compris de la Palestine. Dans ces conditions, comment ne pas faire nôtres les paroles du producteur français ("votre film pourrait se passer n'importe où") ?
Le film finit donc par ressembler à l'exact contraire du cinéma, à savoir la publicité. C'est particulièrement criant dans les deux séquences musicales du film : celle des jolies passantes parisiennes (accompagnée de "I Put a Spell on You") et celle de la militante pro-Palestine pourchassée par la police (accompagnée de "Darkness" de Leonard Cohen), où l'aspect artificiel et limpide des situations auxquelles nous restons extérieurs rappelle la manière des spots de réclame.
Pour conclure, j'ai envie de comparer It Must Be Heaven avec l'autre film de l'année 2019 réalisé par un cinéaste du Proche-Orient et qui se déroule en partie à Paris : Synonymes de Nadav Lapid. Or là où le film israélien montre réellement la confrontation entre un jeune homme et une ville qu'il a fantasmée, le film palestinien ne fait que rester en surface, offrant des images parfois amusantes ou effrayantes comme peuvent l'être des photos mais rien qui ressemble à un récit (même secret).
Pour être clair, les tripes de M. Suleiman me restent totalement inconnues.