"It must be heaven", c'est l'absurde comme une seconde peau chez Elia Suleiman. C'est l'absurde, comme manière d'être-au-monde poėtique. Et l'absurde ? C'est avoir sur le monde et ses manifestations quotidiennes, un exceptionnel potentiel de regard. Le regard qui va légèrement se décaler et débusquer, sous les apparences, le mécanisme dans sa répétition la plus nue, la plus inepte dans sa nudité et, à cause de cette nudité même, la plus propre à provoquer le rire qui adoucit, qui poétise en même temps qu'il souligne. L'absurde, c'est ce potentiel de regard capable de faire des plus ordinaires situations une grande aire de jeu et d'improvisation. Je pense notamment à la scène du SDF, servi sur le trottoir comme à bord d'un avion par une secouriste-hôtesse de l'air. L'absurde, c'est cette dignité nonchalante, c'est cette élégance légère, c'est le poids allégé de la condition humaine. Comme Calvino, Chaplin, Keaton et comme Tati et Son Oncle, Suleiman a ce regard. Un tragique clownesque à la Ionesco aussi.
Quel beau film, oui ! Drôle, amer, poétique, grinçant, touchant, hilarant, profondément existentiel. Nous sommes sous le regard, sourcil levé ou doux, du génial Suleiman jouant son propre rôle de réalisateur à la recherche de producteurs pour son prochain film, et qui promène sa frêle carcasse burlesque de palestinien de Paris à NY, débusque nos ballets sociaux et rêve l'avenir de la Palestine. Le plan fixe et le champ/contre-champ font la signature de son grand cinéma. Ainsi que la répétition avec variations de scènes mémorables, comme par exemple, celle du jardin aux citronniers régulièrement envahi par un voisin affable mais intrusif (métaphore à peine voilée de la situation israélo-palestinienne) ou celle, très chaplinienne de la saisie numérique de texte au clavier avec moineau. Un excellent moment. Avec dėfilé des parisiennes.