Dans ce film, son premier long métrage, Jayro Bustamante fait souvent le choix du non-dit, mettant son spectateur dans la position de celui qui doit rester attentif pour relever les informations permettant de comprendre certaines intentions. Un choix louable qui traduit la confiance dans les capacités du langage cinématographique. Petite déception cependant, car ce choix se retourne un peu contre Bustamante, probablement par inexpérience. En effet, des informations absentes du film pourraient l’éclairer, comme si le réalisateur oubliait que le spectateur français (coproduction oblige) ignore à peu près tout des réalités historiques et géographiques de son pays, le Guatemala.


Le Guatemala est un petit pays d’Amérique centrale connu avant tout pour sa production de café. Justement, Maria (María Mercedes Croy), 17 ans, travaille dans une plantation de café. Elle y vit avec sa famille dans des conditions assez rudes, la région étant dominée par un volcan en activité (Ixcanul signifie volcan). Site impressionnant par son ampleur et par les fumées qui s’en dégagent. Et si le feu couve en sous-sol, il couve aussi dans les esprits. La volonté des uns et des autres est d’assurer l’avenir. La mère (María Telón) souhaite pour sa fille un mari qui lui assurerait protection et bonheur. Dans son esprit, le meilleur parti est incontestablement Ignacio (Justo Lorenzo), jeune veuf à la belle allure, qui ne demande pas mieux que d’épouser Maria (voir la présentation officielle des familles, celle de Maria s’étant mise en quatre pour l'occasion). On réalise alors que la pression sociale qui s’exerce sur Maria est très forte. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, cette pression est essentiellement concrétisée par l’action de la mère, petite bonne femme à la volonté de fer. Mais si Maria donne son accord d’un gentil sourire, elle n’en pense pas moins. D’abord, elle ne connait rien à l’amour et aux hommes et ensuite elle s’intéresserait plutôt à Pepe (Marvin Coroy) qu’à Ignacio. Point non négligeable, Pepe est un employé d’Ignacio à la plantation. Ceci dit, le désir travaille Maria qui n’a pas besoin d’absorber de l’alcool pour faire tomber ses inhibitions. Elle sait comment s’y prendre avec les cochons, cela ne doit pas être plus sorcier avec les hommes.


Maria va rapidement apprendre que dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, à moins d’avoir de sérieux atouts de son côté. Elle n’est ni bête ni moche, mais elle est issue d’un milieu modeste. Soi-disant protégée par sa condition, Maria est amenée à jouer un rôle dans une sorte de cérémonie destinée à assainir un champ. Las, Maria se retrouve aux urgences d’un hôpital de la ville, sa famille (la mère surtout) affolée. Là, la présence d’Ignacio, toute rassurante qu’elle soit, va sceller le destin de Maria.


Comme il a commencé, le film se termine sur un gros plan de Maria. La boucle est bouclée, la jeune fille se laisse faire docilement, sa mère la préparant pour la cérémonie du mariage. Comme on devine l'identité du futur époux, on imagine bien ce que sera le futur de Maria.


Un premier film intéressant par bien des aspects, notamment l’ouverture sur un pays méconnu, ses habitants, leurs modes de vie, leur organisation sociale (à l’échelle de la cellule familiale et de façon plus large), mais qui pêche par manque de pédagogie en refusant de délivrer une de ses principales clés de lecture, à savoir que le Guatemala est peuplé d’indigènes issus de la civilisation Maya mêlés aux descendants des colons européens. Les villes principales sont sous la domination des descendants des colons, alors que les indigènes peuplent le reste du territoire. Point essentiel, les descendants des colons parlent espagnol alors que les indigènes ont leur propre langage. Une différence capitale dans le scénario. On constate que la position de celui qui possède la capacité de s’exprimer dans les deux langages est particulièrement privilégiée. En situation de traducteur, il dit ce qui lui convient. Il détient ainsi un véritable pouvoir (renforcé éventuellement par sa position sociale).


Ce film est donc mieux qu’une curiosité exotique. Plutôt que la séduction par une recherche esthétique, il mise sur la crédibilité des situations et des personnages. Finalement, il s’agit d’une incitation pour le spectateur à faire une démarche qui va dans le sens inverse de celui de Maria, s’intéresser au Guatemala alors qu’elle cherche un moyen de rejoindre les Etats-Unis.

Electron
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le 5 déc. 2015

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