Dujardin et sa moustache mènent l'enquête.

Il y a tellement à dire autour de Roman Polanski, de son œuvre et de son parcours en tant qu’artiste et en tant qu’homme qu’il serait impossible de tout raconter en une fois. Si il fallait donner un terme à sa filmographie, ça serait celui de sondeur de l’âme humaine du Nouvel Hollywood, tant sur le territoire de la folie, de l’enquête judiciaire, du conflit parentale ou encore par le théâtre au cinéma avec par exemple Carnage. Un cinéaste à la réputation également bouillante et dénoncé par le mouvement féministe pour plusieurs affaires de viol, récemment comme plus antérieure, dont la plus connu reste celle de Samantha Geimer en 1977. La suite, je laisse le soin aux experts de faire un résumé, c’est avant tout l’artiste et son œuvre qui m’intéresse ici.


Traiter de l’affaire Dreyfus pour Polanski, ça lui tenait à cœur un peu de la même manière que la mise en image de Don Quichotte au cinéma était un projet très cher à Terry Gilliam. Etant dans sa période d’adaptation d’œuvre préexistante au cinéma, on pouvait s’attendre à ce qu’il adapte cette affaire tôt ou tard surtout au vu de ses origines juives. Et autant dire qu’après le sévère crochet du droit intérieur qu’a laissé le grotesque et ridicule D’après une histoire vraie, l’arrivée de J’accuse fait du bien.


La scène introductive du film nous rappelle ce qu’est la réalisation de Polanski : claire, carré mais précise dans ses choix d’angle, de plan et surtout dénué d’artifice vain dés le plan large et le léger mouvement suivant le groupe de soldat sur la place publique. La destitution militaire et l’humiliation d’Alfred Dreyfuss devant la hiérarchie est filmée de manière tranchante, strict et glaçant mais elle trouve un premier parallèle cohérent avec l’actualité récente au vu des violences qui ont sauvagement grimpé dernièrement contre eux. Le peuple à la grille insultant ouvertement Dreyfuss plus pour ses origines que pour les crimes dont on lui a fait grief, ceux-ci servant de prétexte pour camoufler l’antisémitisme déjà en hausse sur le sol français à cette époque.


Mais là ou J’accuse gagne en épaisseur, c’est que Roman Polanski ne va pas enfoncer des portes ouvertes en tombant dans le piège d’en faire une énième biopic académique sur une figure historique. Au-delà de l’antisémitisme abordé, ça sera également un manifeste contre le système militaire et l’orgueil qui la ronge ainsi que son laxisme à peine dissimulé, le tout sous les traits d’un film d’espionnage au sein de la hiérarchie militaire jusqu’à aborder la question du devoir au nom de l’Etat quitte à aller à l’encontre de la volonté de ses représentants et se mettre indubitablement dans la fiente de pigeon malgré soit.


Ce n’est pas pour rien que la première demi-heure de film se consacre pleinement au quotidien renouvelé du Colonel Marie-George Picquart nommé chef de la section statistique. Bien qu’il soit présenté comme un modèle de devoir en tant que soldat, il voit sa situation, son expérience, son mode de pensée (il rappellera plus d’une fois qu’il ne porte pas les juifs dans son cœur mais différencie avis personnel et profession militaire) et son intimité suffisamment décrit pour tenir le rôle central et a un intérêt historique justifié pour être celui par qui le spectateur suivra 90% d’une affaire qui s’étirera sur plus de 10 ans. Et qui plus est interprété par Jean Dujardin qui mérite davantage ce genre de rôle, l’acteur étant une fois de plus excellent et très crédible dans la peau d’un personnage plus dramatique et historiquement important dans une affaire qui est loin de se limiter à une simple erreur judiciaire.


Roman Polanski, toujours en restant cadré et précis dans son filmage, va progressivement échelonner et dégrader le statut de Picquart à la vue de ses supérieurs et même de ses principaux contacts dans l’armée (le commandant Henry Hubert) en prenant le soin de le confronter une première fois aux principaux membres de la hiérarchie et de montrer le respect hiérarchique et la politesse protocolaire qui subsiste en dépit de la froideur qui ressort du film (le travail à l’image de Pawel Edelman a été pensé pour). Lorsque Picquart se voit saisit des documents de l’affaire Dreyfus et de l’affaire Esterhazy, c’est déjà symbole de la déchéance programmée du colonel ayant petit à petit cherché à rétablir une vérité qu’il considérait comme nécessaire malgré ses à priori. Et donc de l’odieuse farce auquel il se retrouve à son tour confronté tout comme l’a été Dreyfuss qui assistait impuissant à une mascarade validée par la monarchie militaire


(le juif en question se retrouvant à la fois accusé d’avoir imiter une écriture durant des échanges de lettre, et d’avoir volontairement falsifié cette même écriture pour ne pas se faire choper durant une audience).


La différence est que Polanski ne monte et présente pas l’ensemble comme un drame plombant en insistant avec un misérabilisme pour blaireaux sur la situation de Dreyfuss ou celui de Picquart. Ce dernier avait conscience de sa situation, le public connait suffisamment bien l’histoire pour qu’on ne lui fasse pas un rappel lourdaud et surchargé, et comme il est fait ici c’est bien plus intéressant de se pencher sur les détails et l’évolution de l’enquête durant ses premières années et ce qu’il impliquait pour ceux qui enquêtaient, défendaient Dreyfus (les Dreyfusard comme le cercle secret rencontré un soir) ou étaient concernés.


Le souci du détail (la lettre bleu et le bordereau) et du rythme du film, ainsi que la froideur et simplicité de sa mise en scène, donnent un sentiment d’enjeu qui grandit de plus en plus face à la situation déplaisante du Colonel et des événements qui entourent cette affaire déjà très gratiné (la publication dans le journal J’accuse d’où le film tient son titre étant l’un des principaux tournants) et n’en finit pas de si tôt. Parfois accompagné par la musique, certes souvent discrète, mais pas pour autant inutile d’Alexandre Desplats en fidèle compositeur du cinéaste polonais.


Par contre, contrairement à ce que les critiques ont bien pu dire dernièrement, je ne suis pas d’humeur à faire un parallèle entre Roman Polanski et la situation de Dreyfuss. Le cinéaste est libre de parler du film et de le vendre comme il l’entend, mais entre plusieurs affaires de viol ou il a probablement sa part de responsabilité et un scandale militaire autour d’une affaire d’espionnage, il y a un énorme écart en dehors de leur religion. Et je préfère éviter d’évoquer la moindre théorie à ce sujet, avant tout je critique sur ce site pour parler cinéma et de la pop culture ainsi que leur implication quand j’en ais envie et si un film a quelque chose qui mérite d’être cité ou rappelé même si ça a déjà été fait.


En dehors de ça, J’accuse est une réussite qui transcende de loin le simple traitement d’un sujet et lui confère bien plus de sens de lecture et d’actualité que le ferait une biopic ou une adaptation de fait réel destiné à remporter une statuette aux Oscars. Parmi ses meilleurs films dans ce qu’il a récemment fait, et puis bon surtout : Jean Dujardin avec la moustache française de la fin de 19ème siècle, ça vaut de l’or.

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le 13 nov. 2019

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