Avant toute chose, il faut rappeler que le propos de Polanski n'a jamais été de raconter l'Affaire Dreyfus ! C'est bien pour cela que le titre, indéfectiblement lié à celle-ci, est très mal choisi car il induit le spectateur en erreur.
Il est donc normal de ne pas trouver dans ce film des personnages éminemment importants de l'Affaire, le sujet en étant Picquart ; pas Dreyfus. Tout comme il est normal qu'on s'attarde sur la vie privée du commandant et non sur les acteurs majeurs de l'Affaire, comme Lucie ou Mathieu Dreyfus, qu'on ne fait qu'apercevoir. Ce qui est logique, Picquart les ayant à peine croisé dans sa vie.
La séquence où Picquart (Dujardin) conduit Dreyfus (Garrel) au bureau des accusateurs menés par Du Paty de Clam (Vuillermoz) sans entrer dans la pièce pose sans équivoque ce postulat de départ. La porte se ferme devant Picquart qui reste dehors. On ne peut être plus clair.
Il est cependant préférable de connaître un minimum le déroulement et les protagonistes de cette "ténébreuse affaire" pour pouvoir appréhender au mieux le film. Le téléfilm de 1995 d'Yves Boisset d'après Jean-Denis Bredin (malgré quelques écueils et contre-sens) est un bon moyen de se faire rapidement une idée des événements (https://www.senscritique.com/film/L_Affaire_Dreyfus/427279), même si ça ne vaudra jamais un ou deux bons livres d'Histoire.
Pour ce qui est du film, l'ensemble est bon et plutôt réussi. La restitution de l'époque, notamment. Amalric dans le rôle de Bertillon est excellent, mais à l'opposé, Emmanuelle Seigner semble s'ennuyer ferme du début à la fin. On ne la sent pas vraiment impliquée dans son personnage.
Les aspects vraiment gênants du film résident cependant dans des effets de scénario semblant destinés à complaire au public étasunien. Notamment la séquence finale où Dreyfus vient quémander de l'avancement à Picquart.
Et là, on se dit : "Quoi ! Dreyfus ? Quémander !!??" On a en effet vraiment du mal à imaginer un type comme Dreyfus - avec toute la fierté et la force de caractère qu'on lui connaît - quémander de la sorte. Et puis cette phrase idiote et inutile avant le générique de fin est d'une lourdeur assez malvenue. Mais le pire, qui serait peut-être plausible dans l'absolu, mais qui est un contre-sens total avec le sujet, est de faire de Picquart celui qui transmet le dossier secret au jury du premier conseil de guerre en 1894. Faire de Picquart un complice de la machination est vraiment aberrant. Tout ça pour charger le récit de pathos. Comme s'il en avait besoin !
Au bout du compte, le film ne comporte que ces quelques défauts ; gênants, mais pas au point de gâcher l'ensemble, heureusement.
A voir donc, pour se faire sa propre opinion (car il est interdit en démocratie, dans un pays libre, d'empêcher quiconque de lire un livre, de voir un film, d'écouter un disque, d'admirer une peinture ou une sculpture sous prétexte qu'on n'aime pas l'auteur, quelle que soient ses raisons - que je comprends ici, en l'occurrence. C'est donc uniquement à cause du dangereux franchissement de cette ligne jaune par des censeurs d'un nouveau genre que je suis allé voir J'Accuse. Autrement, j'aurais patiemment attendu que ça passe à la tévé. ON NE TOUCHE PAS A LA LIBERTÉ D'EXPRESSION !)