L'Histoire de France est un réservoir inépuisable pour le cinéma. Alors que l'on pensait que tout était dit sur l'Affaire avec un grand A, Polanski choisit un angle d'attaque inédit avec les aventures du lieutenant-colonel Picquart, le chef du Service des Renseignements militaires.


Certes l'affaire Dreyfus a été lue, vue et revue plus qu'il n'en faut. Elle a même été classée et déclassée au fond de notre mémoire, comme l'ensemble des dossiers des programmes scolaires, avec le tampon « Académique » imprimé en grosses lettres dessus.


Pourtant l'Affaire est réactivée dans ce J'accuse dans toute sa complexité et son iniquité. Dans mes lointains souvenirs, l'Armée était partagée comme l'ensemble de la France d'alors entre les
dreyfusards et les anti-dreyfusards. La réalité de la Grande Muette était tout autre. Un véritable complot avec fausses preuves, faux témoignages sur l'honneur, fausses écritures, dissimulations de preuves, procès truqué à charge s'était abattu sur le malheureux capitaine avec la complicité de l'ensemble de l’état major au garde à vous devant la prétendue raison d'état. Y compris avec l'accord tacite du lieutenant-colonel Picquart au départ. Mais avec Picquart chaque jour a un tour nouveau. Par le hasard d'une promotion, cet homme intègre s'est ré-attaqué sans aucun soutien à tout le dossier et en a payé chèrement le prix par un passage de onze mois par la case prison. Ce n'est qu'en dernier recours que la cavalerie de Zola et ses amis a pu relancer l'affaire avec succès, mais non sans difficultés.


Le film était donc nécessaire, la mémoire individuelle étant aussi fragile qu'une preuve d'expert scientifique. J'ai donc appris entre autres choses que Bertillon, l'inventeur du bertillonage , persuadé de la culpabilité du capitaine, avait émis une théorie complètement farfelue qui laissait croire que Dreyfus utilisait un calque pour déformer sa propre écriture afin d'induire perfidement les graphologues en erreur. Fragile aussi la mémoire collective qui pense que c'est le texte de Zola qui donne son titre au film. Mais pendant que Zola filait dans son texte la célèbre anaphore c'est en fait au directeur de publication de l'Aurore, Clémenceau, que revient l'idée du titre.


Pour résumer J'accuse est un film historique bien documenté, bien construit mais avec un sujet un peu trop consensuel. Mais il doit être écrit quelque part dans ses gènes que Polanski ne peut pas éviter de créer la surprise ou le scandale. Polanski possède le don de montrer la face cachée de l'âme humaine, des petites manigances aux sombres complots. Après que l'assassinat de Sharon Tate eut montré qu'une bande de beatniks peace and love pouvait être la couverture parfaite pour les tueurs de Charles Manson, après avoir sous-entendu dans Rosemary's Baby que votre voisine si serviable Minnie Castevet pouvait être en fait un suppôt de Satan, la traditionnelle cérémonie des Césars de l'Auto satisfecit a pu montrer combien les idées à la mode comme le féminisme pouvaient cacher en fait un discours androphobe et discriminatoire.


Devant une assistance médusée l' humoriste maîtresse de cérémonie essaya de faire oublier les interminables 3H30 d'auto-congratulations rituelles en affublant à plusieurs reprises Polanski du sobriquet d'Atchoum en rapport avec sa petite taille. Elle ne réussit qu'à se mettre à dos à la fois les personnes de petites tailles, les enrhumés, les allergiques, les photosensibles ainsi que tous les spectateurs Timides, Grincheux, Simplets, Joyeux et Dormeurs solidaires pour le coup avec Atchoum. Certains se remémorèrent alors fort à propos leurs débuts dans le monde du travail et le souvenir de leurs anciennes collègues, féministes avant l'heure, dont le principal effort intellectuel consistait à trouver le surnom de nain adéquat à tout nouvel arrivant, après avoir déjà baptisé dans le service Pluto, Gai-Luron, Droopy, Pongo et Rantanplan. Mais Polanski nous réservait une autre surprise.


Alors que tous les invités regardaient de plus en plus souvent leur smartphone en attendant la fin de la cérémonie pour pouvoir enfin savourer le champagne Tsarine, celui qui rafraîchit la Marine, une actrice qui s’attelle à faire rimer son nom avec rebelle, suivie de son ex-compagne, avait trouvé , en quittant la salle en faisant mine d'être offusquée par le verdict, l'astuce imparable pour ne pas faire la queue au buffet du Fouquet's. Un film historique classique pouvait donc dénoncer tous les travers de la société de consommation d'une manière cryptée.


Certes vous penserez que ces lignes ont été écrites par un frustré qui a été refoulé manu militari de la cérémonie des complimenteurs par la sécurité à cause de son paquet de pop-corn, suite à une dénonciation anonyme de la LPM, la ligue de protection du maïs, mais si J'accuse est un film-testament, le titre ne peut mieux tomber pour Roman Polanski, qui n'a cessé de dénoncer le Mal protéiforme tout au long de son œuvre, tel le Zola inlassable du pandémonium contemporain.

Zolo31
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le 1 juin 2020

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Zolo31

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