Après l'épisode houleux (voire "chamailleur"...) des ronds-points de notre "douce France" envahis par les hordes radicalisées de Gilets Jaunes... 'tendez voir une minute ! "Radicalisées" ? Ben oui, on nous l'a assez rabâché à la télé, à chaque journal, dans des tas de reportages. Des sauvages anti-tout et pro-extrème-droite près à foutre le feu à... des cagettes et des pneus ! Le documentaire de Ruffin et compagnie commence comme ça, avec des extraits compilés des plus jolies interventions alarmistes de nos journalistes préférés. Impressionnante démonstration de matraquage, aussitôt suivie dans les faits par un autre type de matraquage, bien plus concret, de la part de forces de l'ordre que la radicalisation ne menace pas du tout, non monsieur. On le sait dès le départ, Ruffin a choisi son camp, et c'est de façon faussement naïve qu'il part à la rencontre des subversifs tancés par les médias télévisuels. On s'y attendait : il ne tombe que sur des gens modérés et plutôt sympas, qu'il interroge à sa manière, directe et parfois rigolarde. Sauf que leurs récits prêtent finalement assez peu à sourire... la démonstration est implacable : de braves gens sont acculés à des actions inhabituelles, inconfortables et désespérées par les conditions indignes dans lesquelles ils sont obligés de vivre. Et c'est la grande force de ce reportage que de leur permettre de s'exprimer sans misérabilisme. Il faut se rendre à l'évidence, les gens en bavent. On était loin de l'ignorer, mais le mouvement des Gilets Jaunes a fait tomber certaines barrières à leur expression : le fait de se retrouver entre personnes qui traversent les mêmes épreuves leur permet d'en parler sans plus de pudeur déplacée. D'un coup, ils sortent de l'isolement dans lequel les maintenait la honte. Parce qu'ils culpabilisaient de ne pas être capables de s'en sortir dans un monde où la compétition est encore la règle. Et là, la honte devrait être partagée par tous, sans exception, y compris ceux qui réussissent à ce jeu-là. Triompher dans une compétition indigne ne devrait pas tenir lieu de succès. Du coup, les regards se tournent immanquablement vers le sommet de l’État. Normal. Et y écouter se pavaner tout un aréopage de gens sans empathie aucune finit par poser une question assourdissante à force de ne pas être posée depuis des décennies, au bas mot. Autant dire que ce film enlevé, parfois guilleret, souvent poignant, ajoute une pierre considérable à l'édifice du réveil citoyen. La séquence finale y apporte une touche de poésie qui, à mon sens, finit de légitimer les aspirations de tout un petit peuple inconscient de sa grandeur... ça me rappelle la magnifique interview d'Ariane Mnouchkine dans Télérama il y a peu (https://www.telerama.fr/scenes/ariane-mnouchkine-je-ressens-de-la-colere-devant-la-mediocrite,-les-mensonges-et-larrogance-de-nos,n6636739.php). Heureusement que certains ont encore un peu de lucidité et ne mâchent pas leurs mots.