There won't be another Camelot

Jackie est le premier film américain de Pablo Larraín, qui s'approprie le genre impersonnel du biopic, ce qui était déjà le cas avec Neruda, sorti seulement quelques jours avant. A première vue, les deux films n'ont en commun que le réalisateur et leur genre: Neruda est une œuvre joueuse, onirique, une large fresque poétique et politique, alors que Jackie semble (mais seulement a priori) plus conforme aux codes du biopic. Pourtant, tous deux traitent de la création d'une légende et du fossé qui sépare personne publique et personne privée.


L'idée de départ est simple: suivre Jacqueline Bouvier Kennedy dans la période qui suit immédiatement l'assassinat de son mari le 22 novembre 1963, à l'occasion d'une interview donnée au magazine Life, la première qu'elle donne, quelques jours après les funérailles. Cela donne lieu à un montage éclaté, avec des flashbacks de Dallas, de l'avion, des préparations des funérailles, et de sa vie de Première Dame, notamment d'une visite télévisée de la Maison Blanche au cours de laquelle Jackie donne à voir les rénovations qu'elle a supervisées.


Se dessinent ainsi les facettes d'une personnalité complexe, entre vulnérabilité et volonté de contrôle de son image et de celle de son mari. Evidemment l'incarnation la plus directe de cette volonté c'est son interview et le contrôle total qu'elle exerce sur ce que le journaliste de Life peut ou ne peut pas écrire:



Journaliste: I’m guessing you won’t allow me to write any of that.
Jacqueline Kennedy: No, because I never said that.



car Jacqueline Kennedy a une intuition incroyable de ce qu'on appellerait aujourd'hui la communication ou le storytelling politique.


Malgré sa douleur - réelle - elle comprend que l'héritage de son mari (Caspar Phillips, sosie de JFK, en retrait et c'est tant mieux: le sujet, c'est Jackie, ni son mari ni son mariage), n'est pas acquis. Elle va alors prendre en main l'organisation de son enterrement de son mari. Elle le modèle sur celui de Lincoln, et prépare une cérémonie aussi immense que solemnelle, pour inscrire JFK dans la lignée des grands présidents, alors qu'avec un mandat très écourté et marqué par des erreurs de gestion assez spectaculaires, il aurait très bien pu n'être rappelé que pour sa jeunesse, la vie dorée à la Maison Blanche et sa mort. C'est ce que craint son frère Bob Kennedy:



We were just the beautiful people.



La musique de Mica Levi (nominée aux Oscar, elle avait déjà composée le score de Under the skin) est envoûtante, avec des grands ensembles de violons qui ressembleraient à une romance de cinéma s'ils ne glissaient pas vers quelque chose de beaucoup plus dérangeant, troublant. Superposée aux moments de fêtes, ou aux moments graves, Levi crée une sensation proche des mécanismes de l'horreur: l'impression que quelque chose est sur le point de se produire, mais n'arrive jamais, et souligne le fossé entre l'extérieur, ce que l'on donne à voir au monde, et la vie intérieure de Jackie.


Pour finir, je voudrais parler ses costumes (parce que je ne me suis pas remise du fait que Madeline Fontaine n'ait pas gagné l'Oscar). Ils sont très bien faits, et reproduisent l'élégance bourgeoise de l'icône de la mode qu'était Jackie Kennedy dans les moindres détails. Mais ils sont importants au-delà de la recréation du "period drama" et de leur rôle d'effet de réel, parce que quand on regarde un film historique le public veut voir des personnages dans des beaux costumes d'époque.


Les costumes ont une vraie place dans l'histoire, ils font partie de l'image que Jackie s'est construite et qu'elle renvoie au monde, et ce que ça lui coûte: c'est un des rares films qui montre réellement l'inconfort des vêtements et surtout de ce genre de vêtements. On sent que ses costumes restreignent sa liberté de mouvement, qu'elle porte une tenue de soirée ou des talons, notamment pendant la scène au cimetière, où ses escarpins s'enfoncent dans la boue.


Jackie explore ce que l'héritage veut dire, le pouvoir des images, mais aussi le genre: alors que JFK ne comprend pas l'intérêt de son épouse pour son projet de rénovation, lui qui ne s'intéresse qu'aux réformes qu'il veut engager, Jackie s'investit dans le matériel et les représentations, tant en rénovant la Maison Blanche qu'en inscrivant son mari dans la lignée de Lincoln par-delà la mort. Est-ce que ce qui est matériel (et donc plutôt codé féminin) est important? Le film incline vers le oui, lorsqu'il se termine sur une référence au roi Arthur, la référence du mythe de l'âge d'or qui traverse le temps, jusqu'à une comédie musicale que le couple présidentiel appréciait:



Don’t let it be forgot that for one brief shining moment there was a
Camelot.


_ourse
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le 27 févr. 2017

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