Portrait de femme en tailleur rose

C’était le 22 novembre 1963, à Dallas, quand la tête de John F. Kennedy partit en arrière puis vint s’écrouler, déchiquetée, sur les genoux de Jackie. Abraham Zapruder était là, pas loin, filmant ces quelques funestes secondes en images indélébiles qui allaient traumatiser le XXe siècle, et faire s’écrouler tout un monde. Et puis il y a ce qui se passe ensuite, quand Jackie essuie le sang de son visage, quand Jackie rentre à Washington, quand Jackie se retrouve seule dans ces grandes pièces à la Maison Blanche… Se situant une semaine après l’assassinat de JFK, lors d’une entrevue avec le journaliste politique Theodore H. White du magazine Life, Jackie déconstruit le temps autour de Jacqueline Bouvier pour ramener celle-ci à une femme, la femme simple, digne et en deuil aux prises avec les contraintes et les (grands) arrangements de l’Histoire (une Histoire "sans pitié", avouera Robert F. Kennedy).


C’est en entremêlant, en fragmentant souvenirs, flashs traumatiques et instant présent (parfois de façon trop marquée, et jusqu’à en briser le rythme, à en déliter le récit) que Pablo Larraín tente de saisir cette femme derrière l’icône en un portrait introspectif, glacial, qu’exaltent les violons lancinants et liturgiques de Mica Levi. Cette femme réservée au début, pas très à l’aise quand elle arrange une visite guidée de la Maison Blanche (qu’elle a grandement restaurée et redécorée) pour une équipe de télévision, cette femme amoureuse, cette femme éprise d’art aussi, cette femme plus affirmée enfin, et davantage encore quand elle aura à organiser les funérailles, comme celles d’un roi, de son mari.


Non, Jackie n’est, ici, pas (n’est plus) un mystère, ni un symbole insaisissable : c’est une femme qui se craquelle, en plein doute (sur son devenir, sur ses enfants…), puis qui tente de retrouver sa place entre douleur et héritage politique (du moins une légende, la nostalgie d’un leader plutôt qu’un legs), entre "réalité et représentation", dira-t-elle. Natalie Portman bouleverse, magnifique quand elle déambule dans ses appartements, hagarde et seule, avec sur elle ce tailleur rose Chanel encore maculé de sang, ou quand elle cherche, dans la boue et parmi les tombes, le meilleur endroit où enterrer son mari. Sans forcer le mimétisme, sans vouloir surprendre, elle s’approprie avec aisance ce rôle en trompe-l’œil (veuve plutôt que mythe), héroïne tragique dont le destin se joue d’un tir de fusil à une toute dernière valse.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
7
Écrit par

Créée

le 6 févr. 2017

Critique lue 478 fois

6 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 478 fois

6

D'autres avis sur Jackie

Jackie
OrCrawn
4

Critique de Jackie par OrCrawn

Je crois que JFK est un film qui nous a passionné, qui a participé à rendre mémorable dans l'époque moderne la mort de John Fitzgerald Kennedy. Tout le monde a vu la vidéo de son assassinat, cette...

le 24 janv. 2017

68 j'aime

6

Jackie
Velvetman
9

Red Swan

L’ampleur d’un deuil est souvent difficile à déchiffrer : le sang coule mais l’esprit se disperse de tous les côtés. Un magma de souvenirs s’éparpille pour déceler le vrai du faux, surtout dans les...

le 8 févr. 2017

52 j'aime

11

Jackie
Docteur_Jivago
5

Dead Kennedys

De John Kennedy au cinéma, je retiens surtout l'effrayant et puissant JFK d'Oliver Stone, avant que Pablo Larraín propose une vision de ce qu'a été les trois jours suivant sa mort pour sa femme...

le 31 janv. 2017

49 j'aime

15

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

156 j'aime

13