Legenda est : ce qui doit être lu !

Jackie, une part de Biopic tranchée au couteau par le viril Pablo Larrain : il filme les quelques jours où Jackie est devenue la veuve la plus illustre des Etats-Unis en deux images qui ont incrusté toutes les rétines de manière traumatique. Une femme rampant en tailleur rose Chanel sur le capot d'une voiture officielle. Une femme marchant sous son voile noir dans les rues de Washington, derrière un cercueil, à la tête d'un cortège de chefs d'état. Jackie, c'est un énorme fantasme historique, ce n'est jamais qu'une réalité perçue à distance. C'est le genre de reconstruction subjective et déformée qui fonde les mythes et sous lesquels il reste une énigme et peut-être rien. C'est le potentiel illusoire de l'image.Comme pour Marilyn. Rien qu'une potiche devenue icône ? La vertueuse déesse domestique de la Maison-Blanche un peu guindée ? Une manipulatrice ? ou bien un mystère resté intact de femme forte et superbe ? Larrain a dit : "Personne ne saura jamais vraiment qui était Jackie Kennedy". Deux documentaires incontournables contribuent à opacifier pour toujours l'image de la célèbre first lady : celui de Zapruder, qui a enregistré l'assassinat de JFK avec une précision sans égale ; celui de Schaffner, qui montre Jackie en maîtresse d'intérieur à la Maison-Blanche. Deux documentaires qui sont entrés par la magie du petit écran dans tous les salons américains et ont figé deux visages de Jackie. Il aurait été stupide d'ignorer ces deux docs. Larrain a décidé de tendre entre les deux, a reconstitué l'un avec pas mal de liberté, l'autre au contraire avec un mimétisme qui frôle l'idolâtrie. Natalie Portman livre une performance d'actrice époustouflante, on ne peut pas l'ignorer, quand elle explore à la fois l'icône froide et distante et l'intimité présumée de la femme blessée, humiliée qui se redresse. Elle ne cherche pas à incarner Jackie à tout prix, dans une imitation qui aurait été pâle, elle tourne avec toutes ses tripes et sa délicatesse autour de l'opacité d'un visage rendu familier par la force des conventions de l'image. C'est, je pense, ce qui fait l'intérêt du film : Larrain joue avec le trompe-l'œil, avec les apparences, les accessoires, les attributs physiques du personnage, jusqu'au fétichisme, pour questionner finalement la déformation de la réalité par l'iconographie. "Ceci n'est pas Jackie", aurait dit un surréaliste. La Maison-Blanche devient une sorte de Palais des glaces angoissant, où errent plusieurs Jackie. La multiplication des points de vue, la fragmentation du récit, la superposition des visages de Jackie filmés de très près (en Super 16), se rejoignent dans la scène-clé du miroir : "Miroir, miroir, dis-moi qui je suis et ce que je fais là ?". La structure narrative se dédouble encore dans un récit du récit, à travers l'interview donnée par la first lady au journaliste de Life, pour agencer de main de maître la postérité glamour des Kennedy. "A un moment bref et étincelant", le propre de la légende est d'être "ce qui doit être lu". La version retenue pour toujours, dans une appropriation des moyens modernes de la communication politique et l'égarement du deuil. Cependant, le décryptage et la démystification du spectacle politique et de l'iconographie glamour par Larrain restent, je trouve, un peu en deçà de ce qu'on pouvait attendre, au point que le décor et son envers finissent parfois par se confondre et qu'on imagine que ça arrangeait sans doute bien Larrain de se dire que la vraie Jackie est hors de portée. En fait, j'aurais aimé un parti pris de Larrain, même faux, mais qui me rende le personnage plus humain et touchant. C'est du cinéma, pas un documentaire ni un film à thèse. Un bon film donc, mais moins que Neruda. Une pensée pour le grand John Hurt, décédé il y a une semaine, et qui joue dans le film un prêtre-confesseur.

Sabine_Kotzu
8
Écrit par

Créée

le 9 avr. 2020

Critique lue 168 fois

Sabine_Kotzu

Écrit par

Critique lue 168 fois

D'autres avis sur Jackie

Jackie
OrCrawn
4

Critique de Jackie par OrCrawn

Je crois que JFK est un film qui nous a passionné, qui a participé à rendre mémorable dans l'époque moderne la mort de John Fitzgerald Kennedy. Tout le monde a vu la vidéo de son assassinat, cette...

le 24 janv. 2017

68 j'aime

6

Jackie
Velvetman
9

Red Swan

L’ampleur d’un deuil est souvent difficile à déchiffrer : le sang coule mais l’esprit se disperse de tous les côtés. Un magma de souvenirs s’éparpille pour déceler le vrai du faux, surtout dans les...

le 8 févr. 2017

52 j'aime

11

Jackie
Docteur_Jivago
5

Dead Kennedys

De John Kennedy au cinéma, je retiens surtout l'effrayant et puissant JFK d'Oliver Stone, avant que Pablo Larraín propose une vision de ce qu'a été les trois jours suivant sa mort pour sa femme...

le 31 janv. 2017

49 j'aime

15

Du même critique

Roma
Sabine_Kotzu
10

« Roma », un chef-d’œuvre exigeant sur Netflix !

Quand Alfonso Cuarón (qu’on ne présente plus) s’offre le luxe de recréer la maison de son enfance dans le quartier de Colonia-Roma à Mexico et d’y revivre presque une année entière, de 1970 à 1971,...

le 5 avr. 2020

5 j'aime

Amin
Sabine_Kotzu
9

Beau et sans lendemain.

Amin, sénégalais, et Gabrielle, française, se rencontrent, s'ouvrent l'un à l'autre dans une curiosité bienveillante et s'aiment un court instant. Une intrigue simple, resserrée dans l'espace-temps,...

le 9 avr. 2020

3 j'aime

1

Les Frères Sisters
Sabine_Kotzu
8

French picaros !

Qu'est-ce qui me vient au moment de résumer le premier western 100 % corned beef du français Audiard ? Un "Pourquoi j'ai mangé mon père" à l'époque du wild wild west. Comme dans le roman énauuurme de...

le 9 avr. 2020

3 j'aime