Souvent reléguée au second plan de la filmographie de Quentin Tarantino ( sans doute en raison de l'assagissement stylistique du réalisateur, et souffrant de la comparaison avec le coup d'essai fracassant et le chef d'oeuvre cultuel que constituent respectivement Reservoir Dogs et Pulp Fiction ) Jackie Brown n'en demeure pas moins une oeuvre de cinéaste particulièrement aboutie, brillante et d'une inédite tendresse. Du plan inaugural renvoyant à l'ouverture du The Graduate de Mike Nichols au close-up ultime embrassant le délicieux visage de son héroïne-titre ce troisième long métrage fait l'effet d'une véritable déclaration d'amour à Pam Grier : littéralement sublimée par la caméra de QT l'icône de la blaxploitation incarne un personnage d'une épaisseur psychologique et d'un charme tour à tour douloureux, glamour et fort en gueule pour le moins mémorables.
Redoutablement bien construit et remarquablement écrit Jackie Brown demeure probablement le film le plus bavard de Tarantino : laissant peu ou prou de place aux coups de feu sentencieux et aux effusions de sang ce polar rondement mené peut éventuellement rebuter par son rythme délibérément lent voire laborieux et son scénario un brin démonstratif et cadenassé ; hormis son classicisme intrinsèque au genre ( le film noir ) Jackie Brown distille généreusement toute la folie propre au réalisateur au gré de personnages et de situations particulièrement pittoresques. Une fois encore les comédiens et comédiennes sont exemplaires : Pam Grier forcément, irrésistible dans ce rôle emblématique de femme-courage acculée au crime ; Sam L. Jackson, plus impressionnant que jamais dans la peau d'un trafiquant d'armes parfaitement amoral et pourri jusqu'à l'os ; Robert De Niro, définitivement capable d'insuffler son charisme à n'importe quel personnage, même lorsqu'il s'agit d'un tocard taiseux, de bonne foi certes, mais assez limité ; Robert Forster, émouvant dans son emploi d'amoureux transi trop régulier pour franchir le Rubicon des sentiments...
Si l'intrigue suit de prime abord une trajectoire relativement linéaire son troisième acte joue habilement sur une temporalité recomposée, évoquant notamment le climax du The Killing de Stanley Kubrick. Par ailleurs la bande originale, principalement formée de tubes seventies grisants et significatifs, fait pratiquement corps avec les situations et confère une ravissante patine à ce polar teinté de nostalgie cinéphile. Sans payer de mine Jackie Brown séduit et fascine résolument d'un visionnage au suivant, fier de sa trame narrative évoquant l'entourloupe du Fargo des frères Coen sorti la même année. Un très grand film.