La naissance de Riad Sattouf en tant que réalisateur (Les Beaux Gosses, 2009) s’est faite sous les meilleurs auspices : une présentation à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, près d’un million d’entrées et le César du Meilleur Premier Film. Il signait une comédie atypique trouvant ses meilleurs ressorts comiques dans l’exacerbée banalité d’un adolescent de 15 ans. Il signait un film ingrat sur l’âge ingrat. Une œuvre qui plaçait Riad Sattouf parmi les plus beaux espoirs du cinéma français. Un titre qu’il ne conforte pas avec Jacky au Royaume des Filles : comédie plus futile que politique.


L’œuvre de Riad Sattouf est, comme la précédente, un ovni cinématographique. Un fourmillement de détails qui donne corps au loufoque monde de Bubunne, dictature matriarcale. Une société inversée dans laquelle les hommes affublés de voileries s’occupent des tâches domestiques pendant que les femmes tiennent les magasins, dirigent l’armée ou paradent sur des motos. C’est d’ailleurs sur ce renversement de nos images sociales que repose l’intégralité comique du film : le père de Jacky mort en l’éjaculant, les avances sexuelles des femmes, les rivalités sororales. Jacky au Royaume des Filles n’est autre qu’une réécriture foutraque du mythe de Cendrillon. Un rôle que tient Jacky (Vincent Lacoste) rêvant de se rendre au Bal des Gueux durant lequel la magnifique Colonelle (Charlotte Gainsbourg) choisira son époux.


L’œuvre se veut cependant réflective sur la question de la soumission et de son intériorisation. Riad Sattouf cherche à comprendre ce qui empêche sa Cendrillon de se rebeller contre un monde qui le met à mal. Il fait alors de son récit une farce politique pour montrer l’évidence : les rêves des individus sont le fruit des conventions sociales ce qui explique que Jacky préfère devenir le Gueux suprême plutôt que de fuir avec son oncle vers la liberté. La dictature est un état de fait qu’il est impensable de surmonter pour la majorité des gens qui se complaisent alors dans un enfermement physique (les voileries) et mentale (la peur, les conventions). Riad Sattouf s’attaque également aux institutions religieuses qui abaissent les hommes à croire au grotesque. Bubunne sanctifie les cheveux et les poneys qui auraient des dons télépathiques.


Cependant, le projet philosophique de l’œuvre est affadi par une perpétuelle course aux gags qui entraîne parfois l’œuvre dans des scènes manquant de subtilités. De plus, l’inversion homme/femme est mise à mal par la figure subversive de l’oncle Julin (Michel Hazanavicius). Il n’est pas le lien souhaité entre notre monde et celui de Bubunne mais semble plutôt un individu anachronique à l’univers du film notamment sur sa façon de se prostituer qui ne différent en rien du gigolo que nous connaissons au sein de nos sociétés. D’ailleurs, la mise en scène de Riad Sattouf manque d’audace ; n’aurait-il pas pu créer également une manière de filmer proche du cinéma soviétique pour rentre compte même dans le traitement de l’image du formatage de Bubune ? Il y a certes un travail énorme de création d’un point de vue plastique (entre Corée du Nord et la Russie de Staline), mais qui s’oppose à un certain académisme filmique.


Enfin, Jacky au Royaume des Filles se confronte à des problèmes de méthode philosophique. Inverser une situation de manière grotesque est-il véritablement un moyen suffisant pour dénoncer un état de fait ? Si les sexes échangent leur place, les caractéristiques des domines et des dominants restent les mêmes. Le regard de Sattouf n’est alors qu’une transposition du problème sans regard novateur. L’originalité qu’on pouvait trouver à l’œuvre devient discutable. De plus, poser une critique du réel dans un lieu fictif ne dénaturerait-il pas le propos que cherche à défendre le réalisateur ? Certes le film s’inscrit dans une réalité de décors édifiante avec cette ville géorgienne qui applique à la lettre l’idéologie égalitaire communiste, mais Bubunne est un lieu qui n’est pas palpable dans l’esprit du spectateur. Le projet politique devient une simple farce altérée par le caractère fictif de l’œuvre.


Le deuxième long-métrage de Riad Sattouf laisse le spectateur sur la touche. Les images sont plaisantes, certaines moments décrochent un rire, mais l’ambition du réalisateur se noie dans un trop plein d’intentions.

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le 26 déc. 2013

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