Ce qui est dur, ce n'est pas ce qu'on a fait, mais ce qu'on n'a pas pu faire...

Jarhead est assez commun dans son approche de l’armée américaine. Des rites de bizutage tribaux aux insultes du sergent-chef, rien qui ne dépayse depuis Full Métal Jacket. La modernité est bien là (de l’uniforme aux caractères, un joli balayage, qui se paye le luxe d’un soldat cynique plutôt lucide sur la politique des USA vis-à-vis du pétrole, mais qui se fait rapidement écraser par ses camarades), mais c’est sans grandes surprises que le début se met en place. Bonne immersion, mais intérêt discutable. Et finalement, le problème de Jarhead se fait de plus en plus visible, une chose cruelle car son sujet est aussi son point faible : le désœuvrement et l’inutilité d’un tel déploiement de force, qui sonne comme un gaspillage de ressources humaines incroyable. C’est le apocalypse now pernicieux, le pétage de câble introverti, l’effondrement sur soit plutôt que devant la barbarie. Jarhead, c’est deux heures de vide et d’impuissance, divisé entre les éloges du patriotisme (le discours d’accueil des soldats, la projection de la scène de bataille d’Apocalypse now…) et le vide, qui met tout le monde à cran et fait ressortir les failles de chacun. Si l’action met les hommes sous pression et les focalise sur des objectifs simples, l’attente du combat les laisse sans repères. Plutôt axé masturbation et discussions philo, les bidasses se murgent, font des exercices, quelques missions d’entraînement et ils tuent le temps comme ils le peuvent. Les snipers, unité d’élite capitale dans les tirs de précisions, se révèle l’un des outils les moins utilisés du conflit, mettant Anthony et ses camarades dans l’étrange climat de l’attente pour tuer. Le sujet est là, il est excellent, mais il manque aussi de relief. L’autodestruction par le vide, c’est un drame réel, et c’est aussi facilement résumé, alors que le processus prend beaucoup de temps à s’installer. Le film essaye de combler l’ennui par une foule de détails inscrits dans l’univers des GI (le nettoyage des chiottes au pétrole), mais difficile de conserver l’attention du spectateur (car il n’y a pas d’implication sentimentale, comme dans des Noces rebelles). En quelque sorte, Sam Mendes est une version plus violente de Sophia Coppola et de l'ennui qu'elle cherchait à figer dans ses portraits. Mais la séquences des puits de pétroles emporte tout. Bienvenue sur une autre planète. Le monde est mort, les brasiers sont partout, des colonnes de flammes illuminent les cieux, et les fumées créent des nuages que le soleil ne percera jamais. C’est Crematoria dans le désert, avec pluie de pétrole, univers hostile et apparitions fantasmagoriques (le cheval couvert de pétrole, une créature digne d’un film fantastique). Ces 10 minutes marqueront à vie, et sont peut être l’une des séquences les plus marquantes du cinéma de guerre de la décennie. Mais comme pour tout voyage, il y a un retour. L’occasion d’une dernière frustration par le vide, et un retour au pays médusé, la névrose ne venant plus des horreurs observées mais de l’absence de participation. Un sujet costaud donnant hélas un résultat un peu banal, malgré ses incroyables moments de cinéma.
Voracinéphile
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le 30 avr. 2014

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Voracinéphile

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