Après avoir collaboré (excusez-moi du peu) avec Godard dans Nouvelle Vague et Krzysztof Kieślowski dans la trilogie Bleu, Blanc, Rouge, le réalisateur Emmanuel Finkiel qui exerce actuellement dans la très respectable Femis, signe, après avoir réalisé en 1999 Voyages alors très apprécié par la critique, Je ne suis pas un salaud, un film réussi narrant autour de la problématique de la responsabilité les conséquences personnelles et sociales d'une agression sur Eddie (personnage principal, incarné par un excellent Nicolas Duvauchelle). Le tout parfaitement servi par une BO nocturne et obsédante de Chloé.
Qui est le responsable? Voilà donc la question que pose, du début à la fin, Finkiel. Mais responsable de quoi? De quelle faute? Au-delà du fait divers présenté (adaptation d'une mésaventure arrivée à un proche du cinéaste), la question interroge une société et ses maux, s'élevant ainsi vers une sphère politique et collective dépassant le simple trajet d'une individualité déchirée.
Les deux hommes convoqués devant le tribunal pour désigner, non pas un responsable, mais un coupable (le premier n'étant pas directement impliqué dans la faute, le second la provoquant sciemment) sont Eddie, la victime, et Ahmed (Driss Ramdi), l'accusé. Ce dernier, malgré son innocence, sera inculpé, à tort donc, et servira de bouc-émissaire pour punir le crime de «petites racailles» (comme les décrit Eddie à son fils). Symboliquement disposés de chaque côté du bureau de la juge comme sur les plateaux de la balance de Thémis, allégorie de la Justice, ils voient leurs arguments respectifs (aussi pauvres que ne l'est leur condition sociale) être pesés et débattus. Si le verdict est pour le moins hâtif, Finkiel lui prend le temps de répondre à la question qui traverse son film pour montrer du doigt ses responsables.
Tout le monde ou presque y prendra pour son grade. D'abord la femme d'Eddie, Karine (Mélanie Thierry). Bien qu'elle s'évertue à sauver un couple dont on ne peut que deviner la séparation, elle revêt tour à tour le rôle d'adjuvante et d'opposante, car à cause d'une maladroite indélicatesse dont elle fait souvent preuve, elle excite malgré elle la colère de son mari et devient l'étincelle qui le fera exploser. De même, les proches d'Ahmed, voulant le venger, agissent mal néanmoins en harcelant Eddie. Le parallélisme entre ces deux personnages-clés (Eddie et Ahmed) et leur existence structure la mise en scène du film de Finkiel, qui à travers un syntagme alterné, les fait savamment dialoguer . Et même si la présence narrative d'Eddie est clairement plus importante que celle d'Ahmed, ce dernier - certes à l'état latent que matérialise le hors-champ - existe néanmoins, grâce en partie à un excellent pouvoir de suggestion que suscitent par exemple les plans sur les fenêtres voisines.
En plus de ces deux-là, Finkiel accuse aussi la Justice, son impatience dans sa trop prompte délibération et son inhumanité dans le traitement des victimes. Mais encore le patron qui malgré le soutien apporté à son employée préférée et la considération personnelle qui lui témoigne, dépasse les limites de la sphère privée et déclenche la chute. Ce même patron d'ailleurs, n'est qu'une figure symbolique du grand Mal que désigne Finkiel: le capitalisme et ses fruits pourris. Culte du paraître, société de consommation, autisme des individualités, sélection naturelle et ségrégation sociale, chômage, … . Nombreux sont les défauts d'un système qui conduit Eddie à l'irréparable.
Ni totalement héros, ni totalement salaud, donc, voilà comment Eddie est présenté par E. Finkiel. La complexité de la question méritant le traitement profond qui lui est donné, il convient de souligner le courage du cinéaste qui aborde un thème délicat et anxiogène sans sombrer dans le pathétisme, le misérabilisme ou le dualisme manichéen. En outre, la pertinence du sujet en période électorale permet d'éveiller les consciences d'un public pris à témoin à travers le regard caméra, mais aussi désigné comme responsable d'une éventuelle tentation nihiliste en votant pour l'extrême-droite, comme d'autres se feraient sauter dans des lieux publics ou y commettraient des massacres sans nom.