Avec Jeanne, Bruno Dumont prouve, une nouvelle fois, qu’il y a aujourd’hui un grand cinéma français capable de porter l’étendard de l’exigence artistique et spirituelle. Car le film n’est pas seulement consacré à la grâce, il est grâce, tout entier dans son geste, dans son essence. Sonder le visage de Lise Leplat-Prudhomme suffit à cela. Nous pouvons lire dans la presse que l’œuvre est « contemplative ». Certes, mais seulement dans le sens où elle applique l’esprit à dialoguer avec une puissance supérieure, Dieu ou autre chose. Contemplatif n’équivaut pas à passif ; ce serait nier le rôle fondamental qu’occupe le spectateur dans le processus de réception sensible et critique. Processus que Dumont, de manière consciente ou non, ne cesse de mettre en scène via la lourdeur des cérémonials, des vêtements et des rhétoriques. Dans ces dunes égarées les personnages s’activent, trébuchent et regardent le ciel. Comme nous. Il serait hypocrite de reconnaître plaisants ces plans superbes où rien et tout à la fois se passe, par exemple la longue séquence immobile qui scrute une Jeanne scrutant elle-même la caméra. La langueur se mue en fascination mêlée de douleur. Combien de temps encore ? Pourquoi les percussions dissonent-elles ? Grâce à ce rythme initial que l’on perçoit identique chez Hou Hsiao-hsien (cf. The Assassin), le cinéaste oblige le spectateur à se déshabiller des préjugés qu’il apporte avec lui, à ôter ses vêtements de tous les jours pour revêtir ceux d’un autre temps pourtant ramené au contemporain. Les dunes agissent tel un vestiaire. Le blockhaus telle une passerelle entre le mythe national et sa charge atemporelle. Pour dire la grâce, Charles Péguy. Pour chanter la grâce et élever ainsi les paroles humaines vers des ciels-mystère, Christophe. Pour danser la guerre, un ballet de cavaleries. Tout, chez Dumont, a à voir avec la terre, cette terre du Nord qu’il aime tant, que j’aime tant. Se diffuse un sentiment d’authenticité : les acteurs-amateurs soufflent ce qu’il fallait de fragilité pour incarner des figures que les représentations antérieures figeaient dans une imperfectible diction, dans d’imperfectibles postures concertées qui, ce faisant, manquaient la perfection dans ce qu’elle a de plus spontané. Jeanne l’atteint. Car il ne saurait y avoir de grâce qu’imparfaite, la grâce prenant justement sa source dans du fragile, dans du complexe, dans de l’humain, en somme. Jeanne, ou la grâce incarnée.
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