Dès qu'il s'agit de parler de l'histoire de France et qui plus est d'un de ses épisodes les plus fameux, c'est la levée de bouclier, l'invective, le scandale. Ajoutez à cela le fait que soit Luc Besson à la baguette, et vous obtenez à tous les coup un film clivant, et sa farandolle d'avis subjectifs et délirants.
Pourtant, ce qu'on reproche au film, à savoir l'inexactitude historique est, je trouve, assez injuste, d'une part parce qu'un film, même de 2h40 ne peut pas tout dire et d'autre part parce que le parti pris de Besson est pour une fois assez intéressant. Et pour cause, loin de faire une image d'Epinal, le réalisateur brosse le portrait d'une Jeanne d'Arc fanatique, hystérique, extrémiste et nationaliste. Il faut se rappeler de l'époque, à la fois très sombre et très pieuse où Jeanne d'Arc est née, une époque également marquée par le symbolisme - dont le film regorge. Il faut également ne pas oublier que Jeanne d'Arc est sortie de l'ombre par son talent, son audace et sa chance. Mais elle n'était pas la seule patriote illuminée ni la seule prophétesse de son temps, loin s'en faut, beaucoup de témoignages abondent dans ce sens. Elle n'est donc pas un cas unique et isolée. La véritable réussite de Jeanne d'Arc, c'est d'avoir trouvé les soutiens politiques et aussi des gens qui allaient, hélas, l'instrumentaliser dans leur quête de pouvoir.
Le film pêche dans sa première partie d'une mievrerie absurde et irréaliste : entre les visions de Jeanne enfant et le village de Domrémy brûlé dans une violence extrême, le tout est indigeste et déborde d'exagération et d'exaltation. La meilleure scène se situe dans la seconde partie, lorsque Milla Jovovich, à qui Luc Besson ne pouvait s'empêcher de confier un grand rôle, en Jeanne d'Arc déterminée, hystérique et mystique arrive à la cours de Charles VII et le cherche des yeux, dans un jeu du chat et de la souris savoureux avec un John Malkovich toujours aussi excellent en roi fébrile et hésitant. On y découvre aussi le personnage de Gilles de Rais, interprété par le fougueux Vincent Cassel, une figure fascinante de notre histoire et aussi terrifiante qui mériterait d'ailleurs bien un film. Faye Dunaway incarne Yolande d'Aragon, la belle-mère du roi, manipulatrice, fine politique. La jeune Jeanne découvre cette cours désolée et au bord du précipice. Par sa finesse et sa puissance de conviction, elle emporte l'élan nationale et se décide de marcher sur Reims pour couronner Charles VII.
S'ensuivent des scènes de batailles épiques, oscillant entre fantasme et reconstitution fidèle, à la manière d'un Gladiator. Le film s'attarde beaucoup sur ces scènes de combat, égratignant au passage, de manière assez peu subtile les anglais, de simples monstres violents et sans vergogne. Cette vision des choses correspond bien à l'aversion que Jeanne et les français éprouvent pour l'envahisseur mais ne collent guère avec la réalité historique, plus subtile. Plus encore, lorsque Jeanne se retrouve face à l'armée anglaise rassemblée, Besson oublie un détail légendaire et historique qui aurait pu donner du crédit à la scène et préfère faire de Jeanne une figure d'effroi qui par sa simple parole fait fuir l'ennemi, ce qui est assez absurde. L'histoire nous dit qu'un cerf serait sorti de la forêt, que les anglais l'auraient alors bardé de flèches, ce qui aurait indiqué les positions des archers anglais aux français qui les auraient alors terrassé. Rien ici de cette anecdote, alors qu'elle renforce encore le côté mystique et religieux de Jeanne d'Arc mais aussi sa chance, son opportunisme, vision pourtant du réalisateur sur le personnage.
La dernière partie sur le procès est plus intéressante, portant sur des faces-à-faces entre Jeanne et sa conscience, interprétée par Dustin Hoffman, offrant quelques dialogues intelligents, ce qui est rare chez Besson. Jeanne doute, Jeanne se demande si Dieu existe. Bref, Jeanne redevient humaine. Le procès est inique, les anglais odieux, l'évêque Cochon se lave les mains. Jeanne brûlera par la fourberie des anglais et la lâcheté des français, calculateurs, qui préfèrent la négociation - et Charles VII sur ce point a un rôle plus qu'ambiguë.
Le film est très imparfait, trop centré sur la guerre, oubliant le mysticisme de Jeanne d'Arc pour offrir un spectacle débridé et violent. Du pain et des jeux, c'est un peu se qui vautre Besson dans la grossièreté. Dommage car son point de vue sur le personnage de Jeanne, intelligent et atypique, aurait gagné à conserver toute sa subtilité. Milla Jojovich ne contribue pas non plus à la finesse et malgré le reste du casting de très bonne facture, le film s'essouffle, dans la longueur et dans son message, par une dramaturgie trop fragile et sans véritable émotion.