On n’en attendait pas moins de la part de Dumont, mais Jeannette fut, et de loin, la projection la plus dingue du festival de Cannes. En marge du palais, dans la salle réservée à la Quinzaine, où le public est plus large et moins filtré, les chorégraphies étaient autant sur l’écran que parmi les spectateurs, dans un ballet incessant de claquements de sièges.


On ne peut pas reprocher au public d’avoir été déconcerté par le nouvel Ofni du cinéaste. Jeannette reprend les textes de Charles Peguy sur l’enfance et l’engagement progressif de Jeanne, alors bergère et s’interrogeant sur le mal, la guerre et sa capacité ou non à infléchir le destin des siens. Elle converse avec ses camarades, une bonne sœur (dédoublée), puis les fameuses apparitions qui lui dictent sa conduite.


Jusqu’ici, tout va bien, d’autant que Dumont, fidèle à son esthétique, nous déplace les bords de Meuse dans le Nord qui lui est cher, pour des unités de lieux presque toujours en extérieurs, enluminées par une photo toujours aussi belle, faisant la part belle au sable, à l’eau et aux sous-bois. Cadre naturel serti comme celui d’une scène théâtrale dont l’héroïne éponyme est le centre invariable, conviant les convives qui se succèdent pour lui donner la réplique.


Les textes sont chantés : les voix sont superbes, et à l’unisson des visages des jeunes filles, représentées à deux âges différents, véritables icônes baignées de soleil et en totale adéquation avec cette thématique de la transfiguration : on retrouve là des thèmes récurrents de Dumont, dans son rapport au sacré, à la nature et à la contemplation.


Tout ceci, néanmoins, n’existe pas sans les éléments les plus originaux ajoutés : la musique, d’abord, d’Igorrr, variation électro métal qui propose un contrepoint assez radical avec la beauté sereine des lieux (et ne semble nullement déranger les moutons qui paissent), et donne un souffle ravageur aux textes de la pucelle ; et les chorégraphies, qu’on doit à Philippe Découflé, et qui, pour le coup, exigent du spectateur une ouverture d’esprit en panavision.


Faire intervenir sur un texte mystique, politique et social des headbangs (souvent très esthétiques, reconnaissons-le, les chevelures des donzelles étant longues et brillantes dans le soleil) est déjà en soi une audace. Mais le créateur ne s’arrête pas là, et convoque absolument tout ce que la chorégraphie peut comprendre d’un tant soit peu reconnaissable : celles de cloclo, de Pulp Fiction, de la tektonik (et un rap chti pour le moins folklorique) et des DAB, rien ne manque au best of.


Rire, incrédulité, fascination, admiration, rejet : l’indifférence n’est pas envisageable. Difficile de comprendre où tout cela nous mène : Dumont propose, l’écran s’impose, et souvent, il indispose.


Si l’on s’en tient à cette figure libertaire d’une révolte improbable (une bergère devenue sainte guerrière), après tout, tout est effectivement permis : l’audace dingue du cinéaste nous entraine dans une danse à nulle autre pareille.


(la note n'a pas beaucoup de sens. Seule la recommandation prévaut)

Sergent_Pepper
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le 1 sept. 2017

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Sergent_Pepper

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