J'ai un très bon cheval en dessous de moi

L'histoire de Jeremiah Johnson commence ainsi ...

Les notes d'une ballade traditionnelle servent de fond sonore à un paysage magnifique de montagne et de forêt, à un trappeur, à un cerf en contre-champ. L'homme arme son fusil, épaule, tire.

L'histoire de Jeremiah Johnson commence ainsi. Il tire et il rate. L'animal disparaît.

Un peu plus tard, l'homme patauge dans le gué d'un cours d'eau, s'acharne à attraper un poisson qui lui glisse entre les mains, glisse, tombe ... Gros plan sur le visage, mouvement de caméra qui nous conduit à un cheval et à son cavalier, un Indien impassible qui le regarde - et finit par s'éloigner sans que rien ni dans son visage ni dans son allure n'ait bougé. Il n'y a aucune pitié dans ce retrait, il n'épargne pas l'étranger égaré par grandeur d'âme, pour une quelconque morale - mais pour une raison bien plus forte et bien plus cruelle. celui qui n'est pas capable de s'adapter, dans un monde aussi dur est condamné irrémédiablement et rapidement - il n'est pas utile d'en rajouter.

Jeremiah Johnson s'adaptera et gagnera le respect des Indiens et de tous les habitants de la montagne. Il fera plus que s'adapter pour survivre. Vivre dans ce monde, c'est aussi, c'est d'abord en connaître les codes, les règles non écrites, plus que séculaires, auxquels tous doivent se soumettre. C'est un univers inédit, impitoyable et beau- où la violence est omniprésente mais tempérée par des traits d'humour récurrents - dans le dialogue, souvent ironique, jamais cynique ("mars, peut-être avril, l'hiver est long par ici"), dans des situations souvent irrésistibles, le trappeur Del Gue (au crâne rasé pour que son scalp n'attire pas les Indiens ...) enterré, la tête seule sortant du sol, précisant à Johnson - "J'ai un très bon cheval en dessous-de moi".

Le pacte, le contrat tacite avec les Indiens va être rompu lorsque Johnson sera contraint d'accompagner une escorte militaire qui traversera et profanera un cimetière indien interdit.Au retour Johnson ne retrouvera plus rien, sa femme indienne, l'enfant adopté, la femme folle rescapée d'un ancien massacre, tous massacrés à l'intérieur de la maison en feu. Dès lors la guerre de Johnson, le tueur d'Indien, est engagée sans états d'âme, sans pathos - longs combats, d'une violence totale, où la pitié n'a pas lieu d'être, dans le plus total respect de ces règles non écrites.

Dans une scène que le spectateur ne remarquera pas forcément, vers la fin du film, lorsque Jeremiah Johnson retrouve le vieux trappeur chasseur d'ours, le premier personnage avec qui il avait pu nouer contact dans cet univers hostile - le seul personnage vraiment volubile du film. Ce dernier évoque la ville, demande à Jeremiah Johnson pourquoi il en est parti ... et à cet instant on peut craindre le pire, l'explicitation d'un message un peu niais, vaguement écologiste. Mais Johnson ne répond pas. les valeurs véhiculées par le film, comme les règles qui régissent ce monde, ne peuvent pas être exprimées de cette façon, résistent à la parole immédiate car elles touchent à un essentiel qui se situe bien au-delà de toute idéologie.

L'ultime rencontre entre Jeremiah Johnson enfermé dans sa solitude et dans sa guerre et l'Indien emblématique, celui qui jadis l'observait en train de pêcher, clôt de la plus belle des façons ce film magnifique. Les deux hommes sont à cheval, à distance, l'Indien sur une butte, en contre-plongée. Les chevaux s'immobilisent, les regards sont tendus, le temps s'arrête. Sans que les traits du visage esquissent le moindre mouvement, l'Indien lève un bras. Quelques secondes et Jeremiah Johnson fait de même. Les comptes sont soldés, la guerre est finie.

La vie peut reprendre.
pphf

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