Le choeur au bord des lèvres, Jersey.

Film sur un destin musical, Jersey Boys réussit le minuscule exploit de décliner la 2541ème version d’un des clichés les plus éculés de l’histoire du cinéma, tout en proposant d’autre part une facette bien plus rare de l’univers auquel il donne vie.

-voix de velours sur toile de Jersey-

Le cliché, pas si grave (et surtout énervant pour les musiciens j’imagine), s’explique parfaitement.
Tu vois plusieurs types n’ayant jamais joués ensemble réussir du premier coup le morceau parfait, sans un couac, sans une hésitation, sans presque un regard, avec des arrangements à rendre fou de jalousie George Martin et une qualité de son à faire pâlir Phil Spector.
C’est sûr, montrer des types s’accorder pendant cinq minutes, reprendre trois fois une intro, décider de placer ou non un pont, s’accorder sur le nombre de mesures avant un break ou se mettre d’accord sur une tonalité, n’est pas très sexy. Mais l’absence d’une de ces phases projette le musicos hors d’un tel film avec la violence d’une catapulte macédonienne.
Je n’en disconviens pas, il est possible à plusieurs musiciens chevronnés (et c’est bien le cas, souvent, des fictions en question) de faire un bœuf quasi-parfait ou une reprise nickelle d’entrée de jeu. Par contre, une chanson nouvelle, jamais.
Je sais, tout ceci n’est pas bien grave et tient du pinaillage zélé de l’ex homme de l’intérieur, mais c’était ici l’occasion d’exprimer une vieille rancœur.
Ça va mieux.

-La solitude du coureur de fions-

L’aspect plus rare, et d’autant plus touchant qu’il est fidèle à nombre de trajectoires cabossées de musiciens, c’est celui de l’incroyable parcours qu’il faut souvent avant (ou parfois après) de pondre le titre que la postérité, cette maitresse intraitable et insaisissable, voudra bien choisir. Qui se souvenait, avant que Clint ne décide de mettre son histoire en image, que Frankie Valli était l’interprète original de "Can’t take my eyes of you", "December, 1963" (version pré-cloclo) ou même beggin (oui oui, la même qui est reprise par Madcon, en 2007), sous la houlette duo de compositeurs Gaudio et Crewe ?
Les estrades au fond des bars torves, les salle des fêtes ou les galas de maisons de retraites sont occupées non seulement de gens qui sont passés à côté de la gloire dont ils rêvaient, mais aussi d’artistes qui ont connus un décalage ombre/lumière qu’on a souvent le plus grand mal à imaginer, ne trainant de clubs sinistres en soirées lugubres que par la grâce de la stupéfiante combinaison amour-de-son-art / traites (ou pensions)-à-payer. Le tout, d’ailleurs, couronné par une reconnaissance anémique venues de ses seuls pairs, gratification tout aussi rassérénante que déprimante.
Sur l’enfer du décors, la réaction du bassiste, lors de la mise à plat des comptes du groupe en présence de la mafia, est d’une justesse surprenante. Le gars veut juste rentrer chez lui.

-To be free: partir un jour, pour toujours-

Et le film de Clint dans tout ça ? A part relever que le bonhomme se fait apparaitre jeune et en pleine gloire naissante sur un écran de télé au détour d’un cadrage mutin ? Un mélange de jolis moments et de passages creux, sans plus-value particulière. Un objet élégant et sans véritable émotion, qui s’inscrit sans à-coup dans la filmographie d’un auteur qui ne fait rien plus d’autre depuis une dizaine d’année que d’écrire les chapitres oubliés (et pas toujours passionnants) de l’histoire de son pays.
La volonté des héros de se sortir du New Jersey des années 50 est plaisante sans être proprement stupéfiante.
Le mix mafieux / zicos est parfois étrange, au point qu’on se demande régulièrement comment un guitariste peut tenter un tel casse, ou comment un mafieux parvient à assurer une telle tierce.
Un mélange des genres propre à son histoire et à l’époque qui éveille la curiosité avant de laisser circonspect.
guyness

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7

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