Attention, cette chronique dévoile beaucoup d’éléments du film !


Pour François Ozon, le sujet est une personne et non un thème. Depuis ces débuts, il a toujours centré sa caméra sur ses personnages, surtout des femmes, en essayant de saisir leur intimité. Qu’ils portent un masque (8 femmes, Potiches) ou au contraire, n’ont pas la force d’en porter face à un présent difficile à apprivoiser (Le refuge, 5 X 2), le cinéaste s’évertue d’abord à façonner des portraits. Si ses films fonctionnent si bien, c’est parce qu’il entretient toujours un certains mystère sur ces peintures ou la névrose flirte avec le pulsionnel. Au delà des actions et des discours, la nature inconsciente du geste l’intéresse beaucoup plus que la raison du geste.


Sa démarche artistique est plutôt atypique dans le paysage cinématographique français. En effet, son style très féminin trouve un étonnant équilibre entre esthétique académique maîtrisé et fluidité narrative, influence qui provient de son amour pour le cinéma classique américain. Avec peu d’effet de mise en scène, il y a un réel plaisir à se laisser emporter par son talent de conteur, quelque soit l’histoire qu’il nous raconte.


Le cinéaste s’est parfaitement expliqué à ce sujet : « Je m’identifie aux réalisateurs hollywoodiens des années 1940 et 1950, qui passaient en un éclair de la comédie au mélodrame ou au western. J’essaie coûte que coûte de ne pas m’ennuyer, de ne pas me répéter, en gardant à l’esprit que le succès est un accident, et l’échec dans l’ordre des choses. Chacun de mes films est une pièce qui s’ajoute à la maison que constitue ma filmographie. Tant que la maison n’est pas achevée, il m’est difficile de faire un état des lieux. » (1)


Avec Jeune & Jolie, François Ozon réalise à n’en point douté son film le plus fédérateur et le plus aboutit. Le fond et la forme s’embrasse dans une unité harmonieuse qu’il n’avait, à mes yeux, jamais atteint jusqu’à présent : pour reprendre ses mots, il s’agit là de son plus bel ‘accident’. Sans doute a-t-il trouvé en Marine Vacth une muse parfaite qui lui a permit d’accomplir cette oeuvre foisonnante riche en symbolique que je ne suis, pour ma part, pas près d’oublier. Explication !


La sobriété et l’épure de la mise en scène l’emporte constamment sur le sulfureux et l’émotionnel car l’incroyable tour de force d’Ozon est de réussir à ne tomber ni dans la complaisance, ni dans le racolage et ni dans le sentimentalisme. La prostitution adolescente étant un sujet plutôt délicat, le cinéaste préfère capter avec une insolente justesse et le plus simplement du monde les réactions, la sensibilité, les ressentis de son héroïne avec une tendresse humaniste et une maestria qui confine au génie. Avec une légèreté déconcertante et une pudeur miraculeuse, on assiste aux échanges et aux ébats de la belle avec ses clients. La nouvelle Isabelle, rebaptisé Léa, découvre ainsi de nouvelles sensations – pas toujours des plus agréables, et jamais le spectateur n’est dans la position d’un voyeur.


Le cinéaste, en totale symbiose avec son sujet, produit une image soyeuse et sensuelle qui reflète à la fois les pensées insaisissables d’Isabelle et son parcours insouciant ou elle ne contrôle rien, se laissant ainsi guider instinctivement par ses pulsions sexuelles sans penser au danger qu’elle pourrait encourir. Naïve et authentique, la belle offre son corps avec générosité et indifférence, jouissant ainsi du temps présent en se laissant porter par ses désirs et n’intellectualise jamais ses actes …


Ozon interroge plus le besoin d’assouvir une terrible pulsion sans réfléchir aux conséquences que d’étaler un érotisme gratuit et vulgaire. C’est l’exaltation d’Isabelle qu’il saisit, et non l’exhibition d’une quelconque nymphomane. De plus, le naturalisme poétique de la mise en scène et l’affection qu’il porte à sa créature nous renvoie à notre propre interrogation sur la nature profonde des agissements d’Isabelle. Jamais elle n’est jugé et nous l’accompagnons autant que nous l’observons ! Nulle doute qu’il faut un certains savoir faire et une sensibilité très aiguisée pour parvenir à édifier un tel portrait de l’adolescence sans sombrer dans le cliché, la facilité ou le déjà-vu, mais surtout en refusant toute moralisation ou réflexion sur le thème qu’il aborde. Ozon compose un film magistral ou l’art total l’emporte sur l’idéologique et le sociologique.


D’ailleurs, en choisissant le symbolisme des quatre saisons pour raconter son histoire, le sujet de Jeune & jolie évoque surtout l’expérience et l’appropriation de sa sexualité plutôt que la prostitution adolescente, thématique secondaire qui ne fait qu’alimenter le récit et les dialogues entre les personnages. Pour chacune des saisons, le corps d’Isabelle est observé par quatre regards différents qui représentent à chaque fois une étape dans le parcours de l’héroïne.


Tout commence en été, saison chaude ou le corps d’Isabelle boue de l’intérieur, en témoigne les scènes ou son petit frère l’observe à travers les jumelles se faire bronzer seins nus à l’abris des regards, mais aussi, plus tard, dans l’entrebâillement d’une porte ou elle s’abandonne à des coïts imaginaires. Dans la posture du voyeur, le jeune Victor contemple le corps torride de sa soeur : symboliquement, ces quelques scènes représentent la fascination et l’émerveillement devant le corps féminin.


A la fin de vacances, Isabelle perdra sa virginité et sa pureté dans les bras de Félix, un allemand un peu plus âgé qu’elle qui l’éveille finalement à la sexualité. Elle laissera d’ailleurs une partie d’elle même cette nuit là sur la plage, avec son double qui l’observe pendant l’acte, avant de disparaître à tout jamais dans l’obscurité. Sur le chemin du retour des vacances, Isabelle croisera une dernière fois l’étranger sur son vélo. La voiture familiale le double sur la route et la silhouette de Félix s’estompe dans l’horizon en arrière plan : il n’est désormais plus qu’un souvenir lointain et Isabelle doit maintenant aller de l’avant.


Viens l’automne, ou la belle est maintenant perçue à travers les regards avides des clients qui, eux, profiteront de la chair juvénile et frémissante d’Isabelle. Cette fois ci, on ne fait pas qu’observer son corps sublime. On le consomme ardemment en s’abandonnant à la perversion ou jusqu’à l’ivresse, suivant les désirs des consommateurs.


Tombe l’hiver. Quand un vieux client décède pendant l’acte sexuel, il est temps de grandir pour comprendre que le plaisir est éphémère, que l’individu est mortel mais qu’il y a aussi des comptes à rendre pour de pareils actes. Ainsi, nous passons au regard de la mère (fantastique Géraldine Pailhas) qui ne comprend pas sa fille, et qui comme le spectateur, se demande bien ce qui pousse Isabelle à agir de la sorte sans faire tout cela pour l’argent et encore moins pour faire carrière. D’ailleurs, toutes les questions resteront en suspend. Entre les conflits avec sa mère, les questions de la police, du psychanalyste et les rapports ambigus avec le beau-père, elle prend pleinement conscience du pouvoir que lui permet son corps. Elle en joue mais ne tombe plus dans la tentation.


Arrive enfin le printemps. C’est une renaissance pour Isabelle qui accède à la relation amoureuse. C’est désormais à travers le regard candide et fasciné d’Alex, le petit ami, que nous l’observons enfin comme une simple adolescente ‘jeune et jolie’ et non plus comme une femme qui s’abandonne gratuitement au sexe. Voilà donc pourquoi François Ozon termine son film non pas sur l’hiver mais sur le printemps.


La scène en hiver ou elle découvre que sa mère trompe son conjoint nous incite même à penser qu’Isabelle ressort plus forte et plus adulte qu’elle à travers sa propre expérience car elle a fait le deuil de ses pulsions sexuelles. Isabelle accède à la renaissance car, désormais, elle canalise et domine ses pulsions, comme nous le raconte Ozon à travers cette lecture, ce parcours initiatique de l’éveil à la sexualité.


François Ozon filme Marine Vacth comme un instrumentiste virtuose interprète la partition d’un grand compositeur. Non seulement il parvient à poser un véritable regard sur la sexualité féminine, avec son lot de mystère et de fascination, mais il réussit surtout à révéler une actrice qui n’est pas prête de retrouver un artiste comme celui ci pour saisir toute la splendeur et l’aura qui émane de sa personnalité.


D’ailleurs, est ce Marine Vacth qui joue Isabelle ou est ce Isabelle qui joue Marine Vacht ? On ne sait pas, mais on se laisse bercer par l’ivresse savoureuse d’un film hors-norme dont la démarche esthétique n’a d’égale que sa dimension contemplative, initiatique et symbolique !




(1) source : « Comment François Ozon s’est sauvé de chez lui » par Aureliano Tonet dans le site culturel le monde : http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/10/comment-francois-ozon-s-est-sauve-de-chez-lui_1772367_3246.html

Mathieu_Babhop
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le 19 août 2016

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